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Le mythe de la nicotine … et des patchs

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Si vous demandez à un fumeur ce qui l’empêche de mettre un terme à son addiction, vous aurez le plus souvent une réponse du type : « je n’y arrive pas, ça doit être la dépendance à la nicotine ! ». L’argument nous semble même le plus souvent logique et indiscutable tant cette idée est tenace encore dans l’esprit du plus grand nombre. 

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Toutefois, si on y regarde de plus près, il semble non seulement que la nicotine n’est pas le facteur de dépendance principal, mais surtout que la partie purement physique de la dépendance n’est peut-être qu’un aspect mineur de l’addiction. 
 
Des chiffres ! Vous l’avez sans doute lu comme moi : les vendeurs de substituts nicotiniques communiquent sur une efficacité qui laisse rêver : « doublez vos chances d’arrêter de fumer !» « 60 à 70 % d’augmentation des chances de mettre un terme à votre addiction »…  bien entendu, des sites comme Wikipedia reprennent et diffusent ces chiffres « cliniquement prouvés ». Nous avons donc affaire ici à un produit indiscutablement efficace, n’est-ce pas ? 

De l’interprétation des chiffres

Mais, comme à chaque fois qu’un chiffre se donne la valeur d’argument, il est important de le situer dans un contexte. Et là, c’est la douche froide : plusieurs études montrent qu’environ 90% des personnes qui tentent d’arrêter de fumer par leurs propres moyens rechutent. Avec le patch, le taux de rechute tomberait à 84% ! On passe donc bien de 10% à 16 % de réussite : l’augmentation de 60% semble véridique… et dérisoire en même temps.
 
Notre logique est habituée à chercher des causes concrètes et immédiatement compréhensibles. Le discours sur la nicotine a cet aspect trompeur qu’il semble plein de bon sens : il y a une dépendance et pour l’arrêter il suffirait de trouver un substitut. On comprend que l’argument puisse séduire le public : il semble raisonnable, plein de bon sens. 

La nicotine crée-t-elle une dépendance ?

Toutefois, si la nicotine était vraiment la cause première de l’addiction, ces résultats ne devraient-ils pas être plus pertinents ? Je suis retombé récemment sur une interview de Jean-Pol Tassin – Directeur de recherches au Collège de France – qui affirme que la nicotine elle-même ne crée pas véritablement de dépendance. Selon ses recherches, ce serait plutôt sa combustion, combinée à celle d’autres éléments présents dans la cigarette – notamment des sucres – qui pourraient amener la création d’une dépendance. On comprend alors que de la nicotine administrée sous forme de patch ou encore de chewing-gum ne puisse reproduire un effet similaire.  
 
En second lieu, se pose aussi la question du travail comportemental et« psychologique » qui apparait comme une dimension primordiale pour aider une personne à se défaire d’une habitude. Là encore, un substitut est proposé : les différentes formes de cigarettes électroniques rencontrent un vif succès qui démontre si besoin en est l’importance du geste, de l’attitude et surtout du rituel dans la compulsion.
Mais pourquoi entrer ici encore dans une logique de substitut ? N’est-ce pas une façon d’entretenir la compulsion en la décalant ? N’est-ce pas aussi une façon de maintenir la personne qui désire arrêter de fumer dans un rôle de consommateur ?  N’avons-nous pas ici affaire à un déplacement de symptôme organisé pour reprendre une terminologie chère aux psychothérapeutes ? 

La dimension comportementale de la cigarette

En tout état de cause, le changement semble à priori être le contraire d’un déplacement et ces démarches ne semblent pas s’occuper de la compulsion en la prenant sur son propre terrain : 
Nous avons tous autour de nous des personnes qui ont tenté d’arrêter de fumer, et qui ont repris. Si on leur pose la question de leur rechute, la majorité va évoquer une occasion spéciale : une émotion forte, un stress, un changement de vie… De même si l’on demande à un fumeur quelles sont les cigarettes qu’il a le plus de mal à stopper, il va très souvent évoquer celles qui sont liées à des habitudes précises : la cigarette associée à la pause, celle associés à la fin du repas, à un coup de téléphone… 
 
En résumé, toute discussion approfondie avec un fumeur fait surgir une dimension comportementale, bien plus qu’un besoin physique : il suffit d’un minimum de bon sens pour s’en apercevoir. Ce même bon sens ne devrait-il pas amener une personne qui le désire à se poser la question d’un travail comportemental plutôt que d’un substitut ? Ne faudrait-il pas aider une personne à changer son comportement global plutôt que la composition de sa « camme » ou la nature de son rituel ? 
 
En tout état de cause, l’on peut se demander, au vu des chiffres qui démontrent un faible succès du patch, pour quelles raisons il continue à être prescrit et remboursé. Il ne semble pas être le seul moyen de favoriser l’arrêt du tabac et en tout cas, les mesures, correctement interprétées, ne le donnent pas comme étant particulièrement pertinent.

Sources :

 

http://www.hsph.harvard.edu/news/press-releases/nicotine-replacement-therapies/

http://lettre-cdf.revues.org/283

 

 

 

 

 

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