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«Les Amants passagers», l’occasion ratée de Pedro Almodovar

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Le dernier film de Pedro Almodovar, « Les Amants passagers », est sorti en France mercredi 27 mars. Comme toujours, la sortie d’un film du réalisateur espagnol, petit génie de la Movida, divise. Comme dans un remake de la « bataille d’Hernani », il faut choisir son camp. Almodovar n’est pas Hugo mais Franck Guillory a choisi son camp.

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Tant de promesses avaient précédé la sortie du dernier film de Pedro Almodovar. Promis, juré, le réalisateur avait opéré un retour aux sources, un retour à la véritable comédie, une comédie loufoque et déjantée, osée et fortement sexualisée. Belle promesse. Mais, surtout, « Les Amants passagers » devait être une œuvre engagée, un tableau sans compromission, authentiquement clairvoyant, voire même prémonitoire de l’Espagne – et de l’Europe – en crise. Rien de moins…

Crise en huis-clos

Le pitch des « Amants passagers » était attirant : un avion décolle de Barajas, l’aéroport de Madrid, à destination de Mexico et, une heure et demie plus tard, il rencontre un problème technique – un train d’atterrissage bloqué – qui le contraint à tourner au-dessus de l’aéroport de Tolède-La Mancha en attendant une piste d’atterrissage disponible.

Les passagers de la classe éco ont été drogués pour éviter la panique et ne reste qu’une partie de l’équipage – trois stewards gays, un pilote bi et un co-pilote des plus hésitants sur sa sexualité – et les passagers « business » – une voyante désespérée de perdre sa virginité, un homme d’affaires malhonnête en fuite, un acteur briseur de cœur, un douteux mexicain et une maitresse dominatrice.

Convaincus que leur dernière heure est venue, ils brisent la glace et se laissent aller…

Jusque-là, c’est du Pedro Almodovar. Cela peut être suffisant pour faire fuir l’essentiel des spectateurs potentiels, j’ai, pour ma part, apprécié, par le passé, ces castings improbables, ces plongées dans les pires dysfonctionnements – plus ou moins bien assumés – de nos sociétés contemporaines.   

Même pas drôle, même pas remuant

Du sexe, du sexe, encore du sexe… il est forcément beaucoup question de sexe.

Cela pourrait être vulgaire, c’est assez convenu. Cela pourrait être réjouissant, c’est profondément ennuyant. Les personnages ne sont pas suffisamment attachants – comme l’ont été, il y a bien longtemps, certains personnages « almodovariens », quasi mythiques -, pas suffisamment surprenants, extravagants pour que l’on puisse, un seul instant, s’intéresser à leurs petites histoires de fesses. Et le fait qu’ils soient contraints pour « se lâcher » de se bourrer de mescaline, drogue à la mode dans ces années 80 si chères à Almodovar, ne contribue pas à rendre leurs performances particulièrement épatantes…

Temps fort du film, la chorégraphie des trois « stew’ » sur « I’m so excited » des Pointer Sisters… Le « n’importe quoi » de ces trois excités – particulièrement in-attractifs – était si peu excitant que, épuisé, j’ai bien manqué de m’endormir. Cela aurait sans doute dû être suffisant pour partir…

Métaphore filée, ratée

Non, je ne pouvais pas partir, il me fallait rester jusqu‘à la fin car, m’avait-on dit, c’était la fin qui donnait tout son sens à l’œuvre.

« Les Amants passagers » devait être, en effet, une œuvre engagée, un film à message. Nos déjantés volaient sur le vol 2549 de la compagnie Peninsula… « Peninsula » comme « péninsule », « péninsule ibérique » et le crash annoncé était celui de l’Espagne, de l’Espagne et de l’Europe en crise…

Je venais donc voir un film politique, un regard d’auteur engagé sur le devenir de son pays. Ce que j’ai vu, c’est la crise d’un réalisateur qui, comme l’Espagne, ne s’est manifestement pas remis de la Movida et des errements qui l’ont suivie.

J’ai attendu des heures – m’a-t-il semblé – la dimension pamphlétaire du film. Partout, j’ai cherché des signes… Je n’ai trouvé que des tentations grossières : la classe économique droguée – comme un peuple tout entier manipulé, inconscient -, les confessions de la maîtresse dominatrice – qui aurait maltraité, à leur demande, les 600 personnes les plus influentes d’Espagne, larbins soumis volontaires (y compris sa majesté le n°1…). Rien de mieux, tapis ! Et à la fin, rien, presque rien…

En période de crise, plus que jamais, les créateurs de la trempe de Pedro Almodovar ont, de mon point de vue, une grande responsabilité. A leur manière, ils peuvent montrer la voie, suggérer des postures, des attitudes, redonner un certain élan. Pedro Almodovar se trompe dans son constat – à moins qu’il ne voie un lien entre libération des mœurs et crise (pas ça, pas lui !) – et fait preuve d’un coupable fatalisme dans son évocation des suites…

Il y avait foule à la séance du soir à l’UGC Ciné Cité – Les Halles, en plein cœur de Paris, ce mercredi 27 mars. A la fin, la salle – si parisienne – s’est sentie obligée d’applaudir, pas moi. Et cela ne saurait, pour autant, faire de moi un prude réactionnaire, loin de là. Pedro Almodovar a, de mon modeste point de vue, raté son film. Heureusement, de cela, l’Espagne se remettra.   

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