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Les jésuites sont-ils de bons catholiques?

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Le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio a été élu pape par les cardinaux le 13 mars dernier. Pour la première fois, un jésuite est monté sur le trône de Pierre. Retour sur cet ordre peu connu qui continu de nourrir de nombreux fantasmes avec Alain Bègue, auteur de Les jésuites en Espagne et en Amérique espagnole (1565-1615). Pouvoir et religion – Agir dans le siècle (PUF).

JOL Press : La Compagnie de Jésus a eu des relations plutôt houleuses avec le Saint-Siège depuis sa création. Que pouvez-vous nous en dire ?
 

La Compagnie de Jésus est un ordre particulier qui a un quatrième vœu. Les prêtres qui deviennent jésuites promettent obéissance, chasteté et pauvreté mais aussi une soumission totale à Rome. Ce vœu a posé un problème, sur le plan national, c’est-à-dire dans les rapports entre Rome et les différentes monarchies. Les pays voulaient en faire un ordre qui leur appartenait : en Espagne, par exemple, la monarchie catholique voulait que les jésuites prennent une part active dans la campagne d’évangélisation mais surtout au développement du système monarchique espagnol, ce qui entrait en contradiction avec leur obéissance totale au pape.

Beaucoup plus récemment, lorsque les Etats sont devenus laïcs, ces rapports ont changé et se sont transformés en un rapport de force entre le pragmatisme propre à la Compagnie de Jésus, c’est-à-dire l’adaptation au terrain, et l’orthodoxie prôné par le Saint-Siège. Les jésuites se sont toujours adaptés aux différents terrains et aux différentes populations auxquels ils se sont confrontés. En Asie, encore récemment, certains jésuites ont essayé d’allier plusieurs religions entre elles pour évangéliser mais le message ne correspondait finalement plus à l’orthodoxie catholique.

JOL Press : Avez-vous des exemples précis dans l’histoire de ces tensions ?
 

En 1946, après la Seconde Guerre mondiale, s’est réunie la congrégation de la Compagnie de Jésus pour élire son 27e préposé général. En France, se développait à cette époque une école de pensée lancée par théologiens jésuites (Jean Daniélou, Henry de Lubac) et dominicains (Yves Congar). Cette pensée sera appelée la nouvelle théologie qui sera condamnée par Pie XII dans une encyclique « Humani Generis », en 1950. Autre exemple, dans les années 50, un archéologue français jésuite Pierre Teilhard de Chardin, a tenté de faire se rejoindre la théorie de l’évolution et la foi catholique. Il sera aussi condamné.

Quand les jésuites apparaissent, c’est un ordre nouveau, de son temps, contrairement aux ordres religieux existants qui sont des ordres médiévaux. C’est un ordre tourné vers la société, les jésuites sont toujours en mission, toujours en mouvement et cherchent en permanence à s’adapter à leur auditoire. Prenons l’exemple de l’aspect vestimentaire, quand les jésuites arrivent en Inde, ils adoptent le sahri, ou le kimono au Japon. Ils veulent se faire proches des cultures qu’ils vont évangéliser. Ils défendent tous les dogmes de l’Eglise, ils sont attachés à un enseignement rigoureux de la doctrine, mais ils s’adaptent.

En Amérique Latine, d’où est issu le pape François, dans les années 70-80, certains jésuites se sont rapprochés de la théologie de la Libération, une théologie des pauvres que l’Eglise n’a jamais voulu reconnaître, car elle enseignait que le Salut ne pouvait être obtenu sans le rejet de l’économie et de la politique qui iraient à l’encontre de la dignité de l’homme. C’était donner une couleur politique à la religion catholique. Ce mouvement ressemblait un peu aux prêtres ouvriers en France qui ont aussi été condamnés par Rome.

JOL Press : C’est le seul ordre qui a fait le vœu de l’obéissance indéfectible au pape mais c’est aussi celui que le Saint-Siège recadre le plus souvent. C’est paradoxal, non ?
 

En soit non. Ils veulent obéir mais aussi s’adapter à la réalité du terrain. Ce n’est pas en contradiction. Leur objectif reste malgré tout la propagation de la foi. On reprochait déjà à Ignace de Loyola d’être un ami des protestants quand il prêchait un retour à une foi plus intérieure. Et pourtant l’Eglise l’a cannonisé.

JOL Press : Dans ce contexte, peut-on s’étonner du choix des cardinaux qui se sont tournés vers un jésuite ?
 

Oui, c’est surprenant d’autant qu’ils ne sont pas habitués à se mettre en avant. Ils rejettent tout honneur, car cela entre en contradiction avec leur ministère. Si vous regardez les cardinaux ou les évêques, les jésuites sont les moins représentés. Leur ministère leur impose d’être sur le terrain et dès leur création cela a posé problème : les autres ordres religieux leur reprochant notamment de ne pas ponctuer, comme eux, leur journée d’offices. Mais ils sont sur le terrain, ils ne peuvent pas avoir une vie de communauté comme les bénédictins, par exemple. Pour accéder à certaines charges, un jésuite doit obtenir des dérogations particulières : le pape François a obtenu des dispenses depuis qu’il est évêque, de la part du préposé général.

JOL Press : A quoi peut-on s’attendre avec un jésuite sur le trône de saint Pierre ?
 

Je pense que ce pape va se diriger vers plus d’humilité, de proximité avec les fidèles, travailler à l’exemplarité des cardinaux et peut-être être plus pragmatique tout en conservant l’orthodoxie de l’enseignement de l’Eglise. On parle du pape des pauvres, je pense que c’est intiment lié à sa vocation de jésuite.

JOL Press : A quoi se résume l’enseignement des jésuites ?
 

Depuis leur création, les jésuites se sont préparés à former des citoyens chrétiens. Ils veulent non seulement sauver des âmes mais aussi former les élites qui dirigeront le pays plus tard. C’est pourquoi l’enseignement est devenu un ministère particulier, comme un moyen de propagation et de défense de la foi. Leur devise en découle directement : « Ad maiorem Dei gloriam », « Pour la plus grande gloire de Dieu ».

JOL Press : Pouvez-vous me donner quelques grandes figures jésuites qui ont marqué l’histoire de l’Eglise ?
 

L’histoire retient principalement les deux fondateurs : saint Ignace de Loyola et saint François-Xavier. Les jésuites sont très peu connus. Ils n’ont jamais cherché la gloire. On connait bien malheureusement certains noms devenus célèbres à cause de leurs désaccords avec Rome. On retiendra malgré tout Jacques Laínez et Juan de Polanco, théologiens qui ont activement participé au Concile de Trente, Jérome Nadal, à l’origine de l’imagerie jésuite, ou encore Lorenzo Ricci, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, lors de sa suppression en 1773.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Alain Bègue, ancien membre de l’École des hautes études hispaniques et ibériques de la Casa de Velázquez, spécialiste de littérature et de civilisation espagnoles du Siècle d’or, est maître de conférences à l’Université de Poitiers. Il est l’auteur notamment de Les jésuites en Espagne et en Amérique espagnole (1565-1615). Pouvoir et religion – Agir dans le siècle (PUF).

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