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Les Jésuites: une oeuvre missionnaire inédite (1/2)

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Ite et inflammate, allez et enflammez : par cette formule, Ignace ne désignait-il pas à ses disciples d’un seul, superbe et même mouvement la terre entière, le monde exploré et inexploré, la terra cognita et incognita ? Et Diego Laynez, l’un de ses plus ardents successeurs, de renchérir : « C’est dans la mission lointaine chez les infidèles que se réalise le plus pleinement la vocation du jésuite. » C’est ainsi que, pour un millier en 1556, à la mort de leur fondateur, les Jésuites sont devenus, soixante ans plus tard, treize mille et dispersés sur toute la surface du globe. « Faites vous tout à tous » : échange sur la culture et les rites, jamais renonciation à la conversion.

Le patronat et la Congrégation de la Propagande

Il convient de souligner que les missions jésuites ressortissent un peu des deux catégories que sont à l’époque le patronat et la Congrégation de la Propagande. D’un côté, les missionnaires jésuites investis dans la partie du monde dévolue au Portugal selon le traité de Tordesillas sont évidemment soumis à la règle du patronat. De l’autre, dès la fondation de la Compagnie de Jésus, ses membres revendiquent clairement l’autorité directe du pape comme exprimé dans la « Formule » de la Compagnie soumise au pape Paul III : « Nous avons jugé souverainement expédient que chacun de nous s’engageât par un vœu spécial de sorte que, quoi que le Pape actuel ou ses successeurs nous ordonnent pour le profit des âmes et la propagation de la foi, en quelque pays qu’ils veuillent nous envoyer, nous allons sans tergiverser, sans excuses, sans retard, en tant qu’il dépendra de nous ; nous serons tenus d’obéir, que ce soit chez les Turcs ou chez d’autres infidèles, même dans ce qu’on appelle les Indes, ou encore chez tous les hérétiques et schismatiques, et parmi les fidèles. »<!–jolstore–>

Soumission absolue au Saint-Siège

C’est la première fois dans l’histoire de l’Eglise que la règle d’un institut prévoit explicitement l’acceptation d’une besogne missionnaire, et pour Ignace de Loyola, cette soumission absolue au Saint-Siège n’est cependant pas incompatible avec une loyauté vis-à-vis du Portugal, dont il proclamait le roi Jean III « seigneur et père de la société ». C’est ainsi que les premières destinations missionnaires des jésuites se situent entièrement dans le monde des colonies portugaises : ce seront les Indes, l’Afrique et le Brésil. Des jésuites français, italiens et espagnols forment rapidement un contingent pour partir à l’assaut de l’Asie au milieu du XVIème siècle et parmi eux, François Xavier qui va révolutionner l’appréhension de la mission.

Quand, après avoir passé neuf ans dans le sud de l’Inde, à baptiser les foules de la civilisation brahmane décadente « jusqu’à en avoir mal aux bras » comme il le disait, il se rend compte de la collusion qui se noue avec le pouvoir temporel portugais qui mêle son négoce à l’œuvre évangélisatrice, quand il se décide à gagner les « grandes îles du Nord », ce Japon nouvellement découvert par des marins et où, avant lui, presque personne n’a mis le pied, quand il se décide à y tenter l’aventure accompagné seulement de deux pères jésuites, Cosme de Torres et Juan Fernandez, et de trois Japonais, d’un Indien et d’un Chinois converti, « traitant les océans comme le lac de Genève » selon le joli mot d’André Bellessort, il ne sait pas encore quel cataclysme il va provoquer dans le monde de la mission.

La question de l’acculturation

La question que se pose alors François Xavier est celle qui reviendra pendant deux siècles,  celle de l’acculturation, celle des rapports de la transmission de la foi par les voies de la raison, qui implique de dénouer la mission évangélisatrice de la colonisation temporelle.

C’est elle qui le fait « fuir » pour le Japon : « Anjirô (son ami japonais) m’a dit en effet que ce sont des gens qui ne sont gouvernés que par la raison », écrit-il à propos des sujets de l’Empereur nippon à ses compagnons restés à Rome. Arrivant au Japon, où il débarque le 15 août 1549, à Kagoshima précisément, au sud de Kyushu, la plus méridionale des îles nippones, le « nonce aux pieds nus » a 43 ans. Dans l’Empire du soleil levant en pleine déshérence où l’Empereur comme le shogun voit ses pouvoirs s’amenuiser, son influence se réduire à une dimension purement symbolique, le missionnaire jésuite peut mesurer les carences de la pensée missionnaire de la Compagnie dont le moyen privilégié consistait à bâtir un lien direct avec le pouvoir en place pour, le convertissant, entraîner derrière lui toutes les populations.

En cela, sa mission sera un demi-échec. Quoiqu’il ait posé les premières fondations de l’Église japonaise, quand il est rappelé à Goa sur ordre de Loyola, il laisse quelques communautés de centaines d’âmes, dispersées, considérées point trop défavorablement par les daymio (gouverneurs féodaux) mais noyées dans le shintoïsme et le bouddhisme zen sans qu’elles aient pu marquer la différence fondamentale qui sépare leur foi et ces cultes, sans que le saint ait réussi à toucher un pouvoir temporel suffisamment fort pour assurer un statut certain au catholicisme, pour la bonne raison qu’il n’y en a pas.

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Cet article avait été précédemment publié dans le mensuel La Nef

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