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Les Jésuites: une oeuvre missionnaire inédite (2/2)

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On sait qu’en outre il n’atteindra jamais à la réalisation de son vœu le plus cher, pénétrer en Chine, l’Empire alors le mieux gardé du monde, le mieux fermé et peut-être le plus raffiné. Pour ce qui était d’évangéliser là-bas, chacun estimait alors qu’il serait plus facile de « lavare Aethiopem » (« blanchir un nègre ») que d’y gagner des âmes à Dieu. C’est la fin de la dynastie Ming, période de décadence : l’Empire du Milieu est totalement hermétique au reste du monde dont il considère à peine l’existence. Or, sur ordre d’Alessandro Valignano, héritier de François Xavier, un certain Matteo Ricci, lieutenant de Michele Ruggieri à Macao, où les jésuites, comme toutes les congrégations chrétiennes sont d’abord confinés, homme de la Renaissance à l’état pur, va réussir l’incroyable pari, entrer en chine et gagner Pékin.

Matteo Ricci, missionnaire en Chine

On peut reconnaître en lui, philosophe, homme de lettres, astronome, mathématicien, qui a retenu les leçons de François Xavier, l’incarnation du génie jésuite de la mission à l’œuvre. « Si tu dis la vérité sur la géographie, on te croira sur le reste », lui avait-on prédit. Et c’est en effet d’abord par la cosmographie et l’arithmétique qu’il va s’ouvrir les cœurs ; c’est par son intelligence de la Chine « pays du livre », son apprentissage de la langue, sa connaissance du confucianisme qu’après avoir pris les habits du bonze bouddhiste il se propulse au rang des Mandarins. « On fait plus de fruit avec des conversations qu’avec des sermons », assène-t-il.<!–jolstore–>

« En ce moment, poursuit-il, nous ne sommes pas en Chine pour récolter ni même semer, mais seulement pour en défricher la forêt. » Mais, plaide-t-il, « depuis que la Chine est la Chine, on n’a point souvenir qu’un étranger y ait acquis une situation comparable à la nôtre. » Et les fruits ne furent certes pas médiocres : témoin ce Zhu Kuang-chi, grand mandarin converti par Matteo, qui accéda quelque temps plus tard au poste de Premier ministre. Ricci suscita de son vivant, du sud de la Chine à Pékin, une communauté de deux mille chrétiens, qui tous l’avaient librement choisi et pour qui cela n’équivalait en rien à une promotion sociale ou à un quelconque conformisme.

Apostolat fructueux et révolutionnaire

Mais c’est pourtant cette œuvre missionnaire inédite qui va susciter un siècle plus tard la « querelle des rites » : les cérémonies chinoises sont-elles superstitieuses et incompatibles avec la foi chrétienne, se demande Rome ? Et contre Ricci et ses héritiers, elle tranchera en faveur des dominicains et des franciscains, réduisant, au moins sur le moment, presque à néant un apostolat fructueux et révolutionnaire.

Mais entre temps le Père Alexandre de Rhodes est entré au Vietnam, dont il a transcrit l’écriture en alphabet. En 1622, après le Concile de Trente, par la bulle Incrustabili, le pape Grégoire XV a institué un organisme centralisé, la Congrégation pour la Propagande. Un peu plus tard, Alexandre de Rhodes, de retour du Viêt Nam, plaide l’urgence pour le Saint-Siège d’envoyer des évêques qui pourraient consacrer des prêtres indigènes, seul moyen pour les Églises locales d’exister quand les missionnaires sont soumis à une persécution chronique. A partir de 1658, le pape envoie ainsi directement des évêques dans les pays de mission, sous le titre de vicaires apostoliques. En 1646, à Paris, les milieux de la Compagnie du Saint-Sacrement tentaient de mettre sur pied une société missionnaire composée d’ecclésisatiques et de laïques. En 1653, Ils rencontrent Alexandre de Rhodes qui leur présente ses idées.

La plus grande souplesse pour s’adapter au milieu

Le jésuite Alexandre de Rhodes avait été envoyé au Japon avec un collègue portugais, Pierre Marque, mais lorsqu’il arrivèrent à Macao, il s’avéra que le Japon était désormais fermé aux missionnaires, et les deux pères furent détournés sur la Cochinchine. Quelques années plus tard, en 1627, Alexandre de Rhodes débarquait au Tonkin. Il se reproduisit chez les Vietnamiens un peu la même histoire qu’au Japon, c’est-à-dire une flambée de conversions spontanées. De la même façon qu’au Japon, les relations s’étaient tendues avec le pouvoir politique, Alexandre de Rhodes avait été expulsé. Il était donc tout à fait convaincu de la nécessité de donner aux nouvelles églises locales les moyens de leur autonomie.

Les missions jésuites en Amérique du Sud aux XVIIe et XVIIIe siècles se trouvent à la zone frontière entre les royaumes de l’Espagne et du Portugal. Elles regrouperont plus de 100 villages indigènes depuis le sud du Brésil actuel, l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay, le Pérou, la Colombie et le Venezuela, sous le régime des « réductions ».

Les jésuites sont obligés de quitter les missions vers 1767. Les réductions sont alors détruites sauf dans les missions de Chiquitos et Mojos. Cependant le clergé diocésain ne réussit pas à en perpétuer l’esprit. Les missions connaissent alors un déclin progressif. Il est difficile de discerner des points communs au travail missionnaire des jésuites dans des pays si différents que la Chine impériale ou le Paraguay des indiens Guaranis. La principale caractéristique des jésuites fut de faire preuve de la plus grande souplesse pour s’adapter au milieu.

Cet article avait été précédemment publié dans le mensuel La Nef

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