Quand Facebook prend le relais de la classe politique en Tunisie. Après des années d’un régime qui a éloigné la politique du peuple, les Tunisiens découvrent, depuis deux ans, la chose publique. Dans ce processus, les vecteurs d’information ne sont pas les médias, mais bien Facebook. L’apprentissage de la vie politique se fait alors à grandes vagues de théories du complot, relayées par les nombreux internautes. Explications de Youssef Cherif, blogueur tunisien.
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« Le paysage médiatique de l’ancien régime tunisien était particulièrement monolithique et l’on peut d’ailleurs dire que l’espace public a été caractérisé par une absence totale de politique. »
L’apprentissage de la conscience citoyenne en Tunisie
Dans un billet de blog publié mercredi 6 mars, Youssef Cherif décrit la transition politique vécue par les Tunisiens depuis ces dernières années. Entre le régime de Ben Ali et l’apprentissage de la démocratie, les citoyens s’approprient leur conscience politique, bon gré mal gré.
Avant la révolution, et puisqu’il n’y avait aucun enjeu, les Tunisiens n’avaient aucune raisons de s’intéresser à la politique. « Les discussions passionnées concernaient alors les matchs de football où les épisodes de Star Academy plutôt que les remaniements ministériels et les élections à venir. »
Mais depuis la révolution de Jasmin, les codes ont commencé à changer. « Le soulèvement a changé cette vision de la politique, seulement maintenant, la vie politique tunisienne est faite de rumeurs et de théories du complot alors qu’elle aurait dû se construire sur une presse libre et une politique révolutionnaire innovante. »
« Vu sur Facebook »
« Aujourd’hui, le principal média tunisien n’est ni un journal ni une télévision : c’est Facebook. Aujourd’hui, l’expression « vu sur Facebook » est largement répandue, par les fumeurs de shisha, par les politiciens, par le président autant que par ma grand-mère. »
« Le fait que de nombreux Tunisiens aient découvert la politique grâce à Facebook a fait du réseau social la « Bible » de leur éducation politique. »
Une « Bible » derrière laquelle se cache un danger : les multiples photos ou vidéos postées sur Facebook sont accompagnées d’une multitude de commentaires, non modérés, qui poussent souvent l’internaute à réfléchir à la chose politique sous l’angle de la théorie du complot.
Les nouveaux ennemis de la Tunisie
Ainsi, grâce à Facebook et à ses effets secondaires, la critique situation post-révolutionnaire de la Tunisie se trouve de nouveaux coupables : « l’Amérique, le sionisme, la franc-maçonnerie, l’Iran et parfois, la Turquie ou le Qatar. »
« Prenez les jours qui ont suivi l’assassinat de Chokri Belaïd par exemple : c’est facebook qui a d’abord relayé l’information. Et c’est sur le réseau social que les rumeurs se sont répandues, augmentant notamment le nombre de balles utilisées pour assassiner l’opposant politique, le nombre de personnes impliquées dans le crime, l’heure et la date exactes de sa mort etc. »
De l’importance de la formation des journalistes
Pour Youssef Cherif, une alternative à Facebook doit être trouvée, car la nouvelle Tunisie ne se fera qu’entre les citoyens et leurs représentants politiques, dans un débat oral qui favorisera la liberté d’expression.
« La mise en œuvre d’ateliers locaux de politique, de débats ouverts est une solution viable, » indique-t-il. « Mais cette mesure doit s’accompagner par la formation exhaustive de journalistes afin d’améliorer leur professionnalisme et pour rendre leurs articles plus attrayants aux yeux des citoyens ordinaires afin de représenter une alternative à Facebook. »