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Me F. Chouraqui: «Nicolas Sarkozy, victime d’un abus de force du juge»

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JOL Press : Me Thierry Herzog, avocat de l’ex-président de la République, invité sur RTL vendredi 22 mars, a estimé que son client s’était vu réserver un « traitement scandaleux ». Au regard des informations dont vous disposez, et de votre expérience de cas similaires, que pensez-vous de cette déclaration ?
 

Me Francis Chouraqui : Si Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour abus de faiblesse, nous sommes face à un cas d’abus de force. Le juge Jean-Michel Gentil a, de mon point de vue, abusé de sa force.

Ceci dit, je nuancerais le propos de Me Thierry Herzog. Les derniers développements étaient prévus et contenus dans tout ce qui s’est passé depuis le début de l’affaire. Tout s’est déroulé de sorte que l’on aboutisse à une mise en examen de Nicolas Sarkozy.

Tout le monde – et le juge en premier lieu – invoque la présomption d’innocence mais, en réalité, il s’agirait plutôt d’une présomption de culpabilité. C’est logique puisque, si le juge d’instruction n’estimait pas disposer d’éléments laissant à penser qu’il puisse y avoir culpabilité, il ne mettrait pas Nicolas Sarkozy en examen. Dans le cas contraire, tout le monde pourrait se retrouver sans la moindre raison mis en examen.

JOL Press : Me Thierry Herzog devrait déposer un recours en nullité devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Bordeaux. Ce recours a-t-il des chances d’aboutir ?
 

Me Francis Chouraqui : Cela m’étonnerait. Les juges ont beaucoup de difficultés à se déjuger mutuellement.

JOL Press : De nombreuses interrogations aujourd’hui, sur la durée de la procédure en cours, notamment compte tenu de l’impact potentiel sur l’avenir politique de Nicolas Sarkozy. Combien de temps est-ce que cela peut durer ?
 

Me Francis Chouraqui : Il faudra déjà quelques mois avant que le recours en nullité ne soit jugé.

Nous vivons dans un État de droit relatif. Si, à chaque niveau de procédure, tous les recours sont épuisés, les affaires s’éternisent. D’une manière générale, les affaires judiciaires en France durent bien trop longtemps.

La responsabilité en incombe pour partie aux avocats. Mais, alors, on s’éloigne des faits et on finit par juger une personne qui a profondément changé par rapport au moment où les faits jugés sont intervenus.

Quand une affaire est très médiatique, les juges ont, eux aussi, intérêt à faire trainer l’affaire en espérant que l’attention s’estompe.

JOL Press : Dans le cas de Nicolas Sarkozy, on imagine qu’il aurait sans doute intérêt à ce que les choses aillent vite. Ses avocats auront-ils la possibilité de faire accélérer la procédure ?
 

Me Francis Chouraqui : C’est très difficile d’accélérer le rythme. Le juge est maître du temps. En la matière, les avocats ne peuvent, au mieux, n’être que des alliés objectifs quand cela les arrange.

JOL Press : Et quand cela ne les arrange pas…
 

Me Francis Chouraqui : On assiste alors, comme c’est le cas dans cette affaire, à l’irruption du pouvoir judiciaire dans le champ politique. La mise en examen de Nicolas Sarkozy, dans un contexte où, éventuellement, celui-ci envisageait de retourner à la vie politique active à courte ou moyenne échéance chamboule le paysage politique.

JOL Press : C’est le cas à chaque fois qu’un juge met en examen un personnage politique…
 

Me Francis Chouraqui : Les juges d’instruction ont des pouvoirs immenses. Ces individus, sur leur seul jugement, peuvent détruire des vies – détruisent des vies. C’est leur quotidien. Une mise en examen, c’est très grave, il faudrait mieux entourer la procédure.

Quant a fortiori, la mise en examen concerne des acteurs de la vie politique, démocratique, ayant reçu l’onction du suffrage universel, ministres, anciens présidents de la République, je crois qu’il faudrait encore davantage encadrer la prise de décision. Pour éviter l’irruption d’un juge sur la scène politique, pour préserver la démocratie, il faudrait sans doute que la prise de décision ne relève pas d’un juge d’instruction seul mais d’un collège de juges. Il faut mettre des garde-fous en quantité.

JOL Press : Doutez-vous de l’indépendance du juge Jean-Michel Gentil ?
 

Me Francis Chouraqui : Je ne doute pas de l’indépendance du juge Jean-Michel Gentil vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques. En revanche, un juge et un avocat – tout autant – ne sont jamais indépendants de ce qu’ils pensent, indépendants de leur dossier. Il n’est pas indépendant de lui-même.

JOL Press : La mise en examen de Nicolas Sarkozy, la perquisition chez Christine Lagarde, la démission contrainte de Jérôme Cahuzac, cela sert qui ?
 

Me Francis Chouraqui : Tout ce qui rajoute à la confusion ambiante, alors que nous traversons une crise sans précédent et qui dépasse largement les seules frontières de la France, sert les extrêmes. Renforcer l’idée que, systématiquement, les hommes politiques se conduisent mal, c’est du pain béni pour les populismes de tout poil.

C’est une très très mauvaise nouvelle.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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