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Montée des populismes: vers un «remake» des années 30?

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Entretien avec Frédéric Monierprofesseur d’histoire contemporaine, spécialiste de l’entre-deux-guerres et auteur de « La France des années 20 ».

JOL Press : La montée de ce qu’on appelle aujourd’hui les populismes est-elle est comparable à ce qui s’est passé dans les années 30, dans un contexte similaire de crise économique et sociale ?
 

Frédéric Monier : Dire qu’il existe des similitudes entre les années 30 et le début des années 2010, est assez récurrent : le contexte de récession économique et de crise sociale fait penser aux années 30. Cependant, il y a deux éléments forts de différence entre ces deux époques. Le premier concerne le fait que, dans les années 30, il y avait une attente d’Etat social, d’avancée, de progrès à réaliser. Beaucoup de déceptions ont été nourries, notamment à partir de 1936, sur les efforts qui n’avaient pas été faits. Mais ce n’était pas comme aujourd’hui, une défense des acquis. Par exemple, au début années 30, la caisse nationale de chômage n’existe pas en France, le combat des chômeurs, c’est un combat pour un progrès social, pour créer quelque chose qui n’existe pas. Aujourd’hui on regarde le passé, dans les années 30, les regards étaient tournés vers l’avenir, vers ce qui n’est pas encore un Etat Providence.

La deuxième vraie différence, à mon sens, tient au fait que dans ces années-là, émergent des contre-projets autoritaires : en 1925, Aymard Camille écrit un livre au titre explicite Bolchevisme ou fascisme ? Français, il faut choisir ! Certes, ce livre est une provocation, mais, à l’époque, la République n’est pas l’unique alternative. A l’heure actuelle, même le Front national se réclame de la République. Je ne vois pas de parti important en France rejeter explicitement la référence républicaine. Ce qui n’empêche pas de voir des différences très fortes selon les familles d’idées.

JOL Press : Les forces de gouvernement de droite comme de gauche sont l’objet d’un désaveu croissant dans les urnes comme dans la rue. Peut-on établir un parallèle avec le désaveu qu’ont connu, dans les années 30, la droite comme la gauche modérées ?
 

Frédéric Monier : Un certain nombre d’acteurs politiques se situent mentalement dans une sorte de continuité avec les années 1930. Au moment de l’affaire Woerth-Bettencourt, en 2010, j’ai été très frappé de voir que du côté de l’UMP, il y avait des références explicites à l’affaire Salengro (Roger Salengro a été, en 1936, l’objet d’une campagne infamante de la part de la presse d’extrême-droite, en raison de son action contre les ligues, ndlr) ou à Léon Blum, se situant du côté des hommes d’Etat de gauche de 1936. Ils dénonçaient les extrêmes – Mediapart en l’occurrence – et se sont imaginés revivre la même période, voire l’affaire Dreyfus, avec une tribune « J’accuse », signé par un membre de l’UMP. Ce sont des parallèles volontaires.

Je suis, pour ma part, beaucoup plus prudent que ça. Les situations ne sont pas les mêmes. Exemple avec les taux d’abstention : en 1932 et 1936, il y a de très fortes mobilisations électorales, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La contestation ne répond pas aux mêmes logiques. En outre, l’attitude qu’ont les Français vis-à-vis de la classe politique n’est pas un élément que l’on retrouverait dans les années 30 : le sentiment de la corruption des élites est une croyance qui ne date que des années 80.

Certes, dans les années 30 comme aujourd’hui, les partis de gouvernement ont connu et connaissent un désaveu mais pas pour les mêmes raisons. La comparaison avec les années 30 sur ce sujet n’est pas très éclairante.

JOL Press : « Tous pourris », « salopards », les périodes de crise sont-elles marquées par une radicalisation du vocabulaire en politique ?
 

Frédéric Monier : Je pense que la radicalisation du vocabulaire politique ne vient pas de la crise mais qu’elle répond à d’autres logiques : les formes de la compétition politique sont en train de changer et ce sont ces changements de concurrence dans l’exercice du pouvoir qui ont tendance à radicaliser le vocabulaire. On s’en est rendu compte lors des dernières élections en Italie avec Beppe Grillo : les nouveaux entrants dans la vie politique sont porteurs d’une vision très dure des élites politiques au pouvoir. On n’hésite pas à accuser les élites de corruption ou d’accointance avec la mafia… Ce renouvellement du personnel politique radicalise les enjeux. On est moins dans un entre soi, qu’il y a quelques années. Et c’est vrai aussi en France.

JOL Press : La violence du vocabulaire est-elle le prélude à la violence physique ?
 

Frédéric Monier : C’est une question récurrente dans la République française qui sert à faire la différence entre les partis qu’on appelle républicains ou modérés et les extrêmes. Ces partis extrêmes entretiennent une violence de vocabulaire, voire une violence idéologique, et on peut leur imputer des formes de violences physique, de recours à la violence. Quand il y a violence de vocabulaire, il y a glissement vers les partis extrêmes qui sont coupables, sur le plan moral, de créer une atmosphère incitatrice à la violence physique.

JOL Press : De plus en plus, la contestation semble s’organiser en dehors des partis traditionnels. Faut-il y voir une comparaison avec la création des ligues dans les années 30 ?
 

Frédéric Monier : Prenons l’exemple de la manifestation de dimanche contre le mariage homosexuel. Ce qui me frappe, c’est la forte dimension d’attachement à la religion qui est un facteur de mobilisation. Ce mouvement n’est pas un parti politique au sens traditionnel mais c’est une forme que prend la contestation. Cependant on n’est pas du tout dans l’organisation de ligues fascistes : l’organisation paramilitaire, les pratiques tournées vers un chef, la référence à la guerre en arrière-plan, tout ceci est complètement absent des mouvements alternatifs à la vie politique française aujourd’hui.

JOL Press : Voyez-vous dans la situation politique actuelle des signes comparables à ceux qui, dans les années 30, ont conduit au recours à des hommes providentiels partout en Europe ?
 

Frédéric Monier : C’est la thèse que défend Jean Garrigues dans son livre Les Hommes providentiels : Histoire d’une fascination française. C’est d’abord une spécificité française, liée à des épisodes historiques que les Français gardent en mémoire, mais c’est aussi une clé de lecture qu’on a sur la montée des extrêmes-droites en Europe. Le lien entre nationalisme de crispation ou de frustration et le recours à une figure charismatique ne conduit pas à faire des analogies opérantes avec le passé. Même quand Silvio Berlusconi a dérapé en disant qu’il y avait des aspects positifs dans le fascisme italien, cela ne me fait pas croire au retour de l’homme providentiel de type fasciste. C’est vraiment très différent.

JOL Press : A-t-on raison de chercher dans l’histoire des clés de compréhension de la situation actuelle ?
 

Frédéric Monier : Je pense que oui. Les gens le font d’eux-mêmes. C’est ce qui me frappe le plus en France. Ce qu’il ne faut pas, c’est aller chercher dans l’histoire des choses qui ressemblent à aujourd’hui. L’histoire aide à comprendre en quoi c’est différent.

Propos recueillis par Marine Tertrais avec Franck Guillory pour JOL Press

Frédéric Monier est historien et professeur à l’université d’Avignon. Spécialiste de l’histoire politique contemporaine française et européenne, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont La France des années vingt (Le Livre de Poche).

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