Depuis un mois, la Tunisie post-révolutionnaire tente de préserver ses acquis pour ne pas mettre un terme à deux ans de construction démocratique. Au cœur de ce regain de crise politique, l’Assemblée constituante a désormais le devoir d’activer la rédaction du texte fondamental qui signera définitivement la fin de l’ère Ben Ali. Son président, Moustapha Ben Jaafar, est l’invité de François Hollande, mardi 5 janvier.
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Le meurtre de l’opposant politique tunisien Chokri Belaïd, assassiné le 6 février dernier devant chez lui, a révélé une crise politique sans précédent depuis la révolution de Jasmin de 2011. Au cœur de cette crise, la rédaction de la nouvelle constitution, qui doit achever le processus de démocratisation de la Tunisie, est plus que jamais dans la tourmente.
La Tunisie attend sa constitution
Majoritaires lors des élections législatives, les islamistes d’Ennahda qui dirigent de nombreux postes du gouvernement et de l’Assemblée, sont de plus en plus désapprouvés par l’opposition, mobilisée sans cesse depuis la mort de leur nouveau martyre, Chokri Belaïd.
Au cœur de cette tourmente, le président de l’Assemblée nationale Constituante, Moustapha Ben Jaafar, social-démocrate et membre de la quatrième force politique du pays.
Mardi 5 février, ce secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés, mieux connu sous le nom d’Ettakatol, sera reçu à l’Elysée par le président François Hollande.
Médecin et syndicaliste
Né le 8 décembre 1940, Moustapha Ben Jaafar est un opposant politique de longue date. Il tombe, dès sa plus jeune enfance, dans la politique en suivant l’exemple de sa famille, militante au sein du Néo-Destour, un parti nationaliste qu’il rejoindra également.
Etudiant en médecine, en France, il milite également au sein de l’Union générale des étudiants de Tunisie.
A la fin de ses études, Moustapha Ben Jaafar occupe un poste de professeur à la faculté de médecine de Tunis. Il devient également chef du service de radiologie à l’Institut Salah-Azaïz puis au CHU La Rabta, à Tunis.
Ecarté par le régime de Ben Ali
Durant les premières années de sa carrière, Moustapha Ben Jaafar poursuit son engagement et alors qu’il rentre en Tunisie, en 1970, il participe à la fondation un hebdomadaire d’opposition, Erraï (L’Opinion), à partir d’une équipe de dissidents du Néo-Destour, devenu entre-temps le Parti socialiste destourien.
En 1976, il est également parmi ceux à l’origine du Conseil des libertés, qui deviendra plus tard la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH).
Ses activités politiques et syndicales – il fonde également le syndicat des médecins hospitalo-universitaires en 1977 – le conduisent à être très observé par le pouvoir en place et il est rapidement transféré dans un service de gynécologie, dans lequel il reste coupé du monde puisqu’aucune équipe ne l’accompagne.
Cet affront ne l’empêchera pas de co-fonder, l’année suivante, le Mouvement des démocrates socialistes.
Concurrent de Ben Ali à la présidence
Plus de dix années passent avant que Moustapha Ben Jaafar, exclu de ce dernier mouvement, soit poussé à fonder son propre parti, en 1994, le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) puis, en 1998, le Conseil national pour les libertés en Tunisie.
Le Forum démocratique pour le travail et les libertés, interdit par le régime de Ben Ali à sa création, est autorisé en 2002.
L’activité politique de Moustapha Ben Jaafar prend alors un nouveau tournant et lors de l’élection présidentielle de 2009, bien que sachant qu’il n’aura aucune chance d’être élu, il se présente, affirmant, dans les colonnes du Monde, que « ne pas participer à ce scrutin, ce serait déserter. »
Le congrès fondateur de son parti n’a eu lieu que quelques mois avant le scrutin et à ce motif, le conseil constitutionnel rejette la candidature de Moustapha Ben Jaafar puisque, selon les termes de la Constitution tunisienne de l’époque, un candidat doit être chef de sa formation politique depuis au moins dix ans.
La démission plutôt que le compromis
La révolution de Jasmin le porte immédiatement au gouvernement transitoire où il obtient le portefeuille de la Santé publique, mais face à la nomination de membres de l’ancien régime, il préfère la démission au compromis. Le remaniement ministériel le remplace dix jours plus tard.
Cette année-là, il est élu à l’Assemblée constituante et choisi comme président par 145 voix contre 68 pour la représentante du parti républicain.
Il choisit de consacrer son discours d’intronisation au rôle fondamental que devront jouer les membres de l’Assemblée afin de protéger les acquis de la révolution, qu’il s’agisse de la justice sociale ou de la protection des libertés publiques et individuelles. Début 2012, Moustapha Ben Jaafar est également désigné pour présider la commission chargée de la rédaction de la constitution, malgré la pression des islamistes d’Ennahda.