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«Ni idéaliser ni démoniser le chavisme, régime complexe»

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JOL Press : En matière de politique intérieure, au Venezuela, cela consiste en quoi le chavisme ?

Olivier Compagnon : C’est une question complexe dans la mesure où le chavisme n’est pas une idéologie constituée. C’est avant tout une nébuleuse des personnalités aux parcours variés, aux perceptions diverses, réunies, pendant quatorze ans, autour d’une figure, celle d’Hugo Chavez.

Et, au fil du temps, différentes orientations ont été privilégiées, comme, par exemple, « le socialisme du XXIème siècle » en 2005. Il y a dans le chavisme une forte dimension sociale mais le chavisme, c’est avant tout le pilotage à vue plutôt qu’un projet de transformation sociale.

JOL Press : On compare parfois le chavisme au péronisme en Argentine. Juan Peron s’appuyait sur un fort mouvement social et syndical. Sur quoi reposait le pouvoir d’Hugo Chavez ?

Olivier Compagnon : Le pouvoir d’Hugo Chavez reposait, avant tout, sur le charisme personnel d’Hugo Chavez. Et puis, sur les résultats obtenus à partir de 1999.

Certains commentateurs avaient imaginé une victoire du candidat de l’opposition, Henrique Capriles Radonski, lors de l’élection présidentielle de la fin 2012. Au final, Hugo Chavez a remporté une large victoire. Cette large victoire, elle s’explique par les résultats obtenus…

En matière de politique sociale, par exemple, le taux de pauvreté a été réduit de 50% à la fin des années 90 à 28% aujourd’hui. C’est un fait.

JOL Press : Mais, cette politique sociale, n’était-ce pas, avant tout, du clientélisme ?

Olivier Compagnon : Pas de réponse catégorique à cette question. L’objectif était la restauration de l’Etat social, mais cela ne signifiait pas la mise en place d’un Etat-providence à l’européenne. Le nerf de la politique sociale d’Hugo Chavez a toujours été l’urgence. Il ciblait certaines catégories sociales, voire, parfois, certains quartiers – et une clientèle particulière. En ce sens, oui, c’est du clientélisme.

JOL Press : On raconte que, lors de visites à travers le pays, des citoyens lui tendaient des billets avec leurs doléances et que, généralement, elles étaient satisfaites en quelques semaines…

Olivier Compagnon : Oui, dans une certaine mesure, c’est exact.

JOL Press : Peut-on parler de culte de la personnalité ?

Olivier Compagnon : Non, pas dans le sens où, par exemple, Staline et le stalinisme ont mis en œuvre un culte de la personnalité. Il n’y avait pas de propagande axée autour d’Hugo Chavez, comme en URSS ou dans les régimes fascistes européens.

En revanche, il y avait bien une personnalisation du pouvoir. Ce n’était pas une dictature puisque l’accession au pouvoir et le maintien au pouvoir ont été démocratiques, non frauduleux. Par contre, une fois la légitimité démocratique acquise, on assistait à une personnalisation du pouvoir. On pense bien sûr à l’omniprésence d’Hugo Chavez dans les médias et, notamment, dans l’émission « Allo Presidente ! » – où le président répondait aux téléspectateurs.

JOL Press : Ce n’était donc pas une dictature ?

Olivier Compagnon : Non, assurément pas. Il y a eu entre 1999 et 2013, quatorze élections qui, à chaque fois, ont confirmé la légitimité d’Hugo Chavez.

Certes, il y a eu une dérive autoritaire avec le recours régulier aux décrets-lois ou la captation des médias. Une dérive autoritaire mais pas une dictature et encore moins un régime totalitaire.

JOL Press : Il n’y avait pas de police politique, de répression des opposants ?

Olivier Compagnon : Non, il n’y a pas de police politique. Des pratiques ont été dénoncées comme lorsque la liste des signataires d’un appel à un référendum anti-Chavez en 2004 aurait été utilisée pour discriminer les opposants. Il y avait trois millions de signataires.

Le régime chaviste est un régime complexe. Il ne faut tomber ni dans l’idéalisation d’une démocratie nouvelle ni dans la démonisation.

JOL Press : Hugo Chavez avait bien préparé sa succession… A quoi ressemblera l’après-Chavez ?

Olivier Compagnon : C’est la grande question des trente prochains jours, jusqu’à la prochaine élection présidentielle.

Nicolas Maduro est le successeur désigné. On peut penser qu’il va suffisamment capitaliser sur l’émotion suscitée par la mort d’Hugo Chavez et sur le résultat de ce dernier lors de l’élection présidentielle de 2012 pour l’emporter.

Mais des dissensions ne sont pas impossibles à court ou moyen terme.

Nicolas Maduro, l’héritier désigné, est issu du mouvement social, du syndicalisme. Le soutien de l’armée est fondamental et déterminant pour l’avenir du pays.

On ne peut pas exclure que, passé le deuil, des dissensions apparaissent. Si celles-ci n’affectent pas le résultat de la présidentielle, il sera intéressant d’observer la composition du gouvernement Maduro.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

Olivier Compagnon, historien, est maître de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (Institut des hautes études de l’Amérique latine), membre du CREDAL – UMR 7169 et rédacteur en chef des Cahiers des Amériques latines

Le Venezuela au-delà du mythe, coordonné par Olivier Compagnon, Julien Rebotier et Sandrine Revet, 2009, Les Éditions de l’Atelier.

Réalisé par les meilleurs spécialistes du Venezuela et fruit de longues études de terrain, cet ouvrage est devenu une référence pour tous ceux qui s’intéressent au devenir de l’expérience vénézuélienne et, plus largement, à l’avenir d’une Amérique latine qui cherche une alternative au néolibéralisme.

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