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Ph. Braud : «Les Français rejettent la politique d’austérité de l’État»

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François Hollande atteint un plus bas historique dans le baromètre Ipsos-Le Point, seulement dix mois après son élection, avec 31% d’opinions favorables, soit une baisse de cinq points en un mois. Dans cette enquête diffusée lundi, la défiance envers le chef de l’Etat est également au plus haut avec 64% d’opinions défavorables (+5). Décryptage avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Jusqu’à quand François Hollande peut-il se permettre d’être impopulaire ? Jusqu’aux municipales dans un an ?
 

Philippe Braud : Les mauvais sondages qui plombent la popularité de François Hollande et de son gouvernement, n’auront pas dans l’immédiat de conséquences politiques trop dommageables. Certes, les élections municipales risquent fort d’être l’occasion d’un vote-sanction mais beaucoup de grandes villes étant actuellement aux mains d’élus socialistes, ceux d’entre eux qui ont une bonne image locale réussiront à limiter les pertes. Ces édiles populaires joueront un rôle de brise-lames.

En revanche, pas de rébellion majeure à craindre au sein de la majorité parlementaire. D’abord parce que les élections législatives sont encore loin, qui pourraient faire paniquer les députés en quête de réélection. Surtout, le sentiment dominant chez les déçus du Hollandisme est la résignation, et non pas la conviction ferme qu’une autre politique est possible. Ni Arnaud Montebourg ni, a fortiori, Jean-Luc Mélenchon ne sont parvenus à développer une alternative réaliste.

Le mécontentement actuel trouve sa source non pas dans le sentiment que la politique d’austérité (appelons-la par son nom !) est erronée et qu’une autre est possible ; il exprime seulement le désenchantement de ceux qui ont voulu croire (non sans naïveté, compte tenu de la conjoncture économique) aux promesses de campagne du candidat.

JOL Press : Comment peut-il s’en sortir ? Doit-il aller sur le front, comme il l’a souhaité à Dijon, ou se faire plus discret ?
 

Philippe Braud : Le Président a fait le choix de poursuivre, voire d’approfondir les nécessaires réformes de structure qui doivent permettre à la France de réduire ses handicaps actuels dans la compétition économique. En cela, il a le plein soutien de Bruxelles et des pays de l’UE qui sont en meilleure santé que nous. Mais pour expliquer cette politique aux Français, il peut adopter deux stratégies de communication bien différentes.

Celle qui a jusqu’ici prévalu consiste à minimiser le choix de l’austérité et, surtout, la continuité avec les réformes de son prédécesseur. On insiste sur le dialogue social, sur le souci de justice, sur la rhétorique de l’égalité et de la solidarité. Au risque de se trouver freiné dans la marche en avant.

L’autre stratégie de communication consisterait à adopter un ton churchillien, sinon gaullien, qui exalte l’esprit de sacrifice en dramatisant la profondeur de la crise et la nécessité absolue de mesures drastiques pour assurer le redressement du pays. Le problème est que ce mode de communication ne colle pas vraiment au style du Président (ou de son Premier ministre). Et les Français ne sont pas assez conscients des périls qui résulteraient du maintien du statu quo.

JOL Press : Cette impopularité l’empêche-t-elle de lancer un certain nombre de réformes ?
 

Philippe Braud : Non, pas vraiment, car dans le schéma institutionnel actuel, le Président est assuré de sa majorité, au moins jusque dans l’année qui précède la fin du mandat des députés. Il lui faut seulement ménager la susceptibilité du Sénat sur des questions comme la réforme territoriale. Ce qui doit rendre un président circonspect, c’est surtout le risque d’une mobilisation massive de la rue pour s’opposer à ses projets. François Hollande, parce que socialiste, est mieux placé que ses prédécesseurs de droite pour anticiper ou surmonter des mouvements sociaux menaçants, grâce aux relais que le PS entretient dans le monde syndical et associatif. Mais une certaine prudence demeure néanmoins de mise.

JOL Press : L’opposition en déroute rend-elle cette impopularité plus tolérable ?
 

Philippe Braud : Une opposition affaiblie par ses dissensions internes est toujours un cadeau pour des gouvernants. Ceci étant, l’impopularité du Président vient surtout de ce qu’il est perçu comme faisant une politique trop proche de celle de la droite. Ce n’est pas pour celle-ci un angle d’attaque très facile à exploiter. Le souligner, c’est se tirer une balle dans le pied ; le nier, c’est justifier la réalité d’un certain changement.

JOL Press : Y a-t-il des exemples dont il pourrait s’inspirer, dans l’histoire de la Ve République, de présidents qui ont réussi à redevenir populaires ?
 

Philippe Braud : Chuter si bas et si vite, constitue un précédent de mauvais augure. L’histoire nous montre que des décrochages importants de popularité, aussi bien du temps de Charles de Gaulle (mais à un niveau tout différent) que de Valéry Gicard d’Estaing et, plus près de nous, de Nicolas Sarkozy, ne se rattrapent jamais. Ceci étant il ne faut pas en inférer des conclusions trop rapides sur l’élection présidentielle prochaine. La popularité médiocre d’un président sortant peut suffire face à un challenger désigné dans de mauvaises conditions.

JOL Press : Quelle décision immédiate et facile pourrait-il prendre ?
 

Philippe Braud : L’arme principale que pourra utiliser le Président pour tenter de redresser la barre est encore le changement de Premier ministre et la formation d’un gouvernement/choc. La réussite de l’opération dépend étroitement du choix des personnes et du moment, ainsi que de la mise en œuvre d’une rhétorique d’accompagnement adaptée aux circonstances. Mais ce serait une décision délicate à ne pas utiliser prématurément…

Propos recueillis par Marine Tertrais avec Franck Guillory pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du Département de sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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