Site icon La Revue Internationale

«Plume» pour homme politique: marionnettiste ou esclave

[image:1,l]

C’est d’abord pour observer de près cette espèce politique si particulière que Marie de Gandt, venue de la gauche, a accepté d’écrire pour un gouvernement de droite. Successivement plume de Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, Xavier Bertrand, ministre du Travail, Hervé Morin à la Défense et Nicolas Sarkozy, président de la République, Marie de Gandt a travaillé cinq ans dans l’ombre du pouvoir.

Aujourd’hui, elle veut en éclairer les rouages, les mécanismes de décision, les luttes intestines au sein des équipes, la guerre des générations, les gloires et bassesses de la condition politique. Marie de Gandt donne la part belle aux hommes de pouvoir et à leurs conseillers de l’ombre, livrant une galerie de portraits inédits, les Caractères de notre époque, écrits par une moraliste qui décrit sans juger – depuis Bussereau, le cousin de province, au colérique Bertrand, jusqu’au Grand Homme, Nicolas Sarkozy, et sa cour anarchique.

Outre sa position stratégique, la Plume jouit d’un autre immense avantage : elle sait écrire, manier les mots, les images, trouver la formule qui fait mouche, saisir une vérité complexe par le jeu des points de vue et la force du style. Sous la plume se lit comme un roman et s’aventure en eaux profondes, questionnant le pouvoir des mots, la manière dont ils peuvent transformer le monde, et la responsabilité de ceux qui les manient.

Extraits de Sous la plume : Petite exploration du pouvoir politique, de Marie de Gandt (Robert Laffont)

Dans les traités de rhétorique classique, l’orateur est le modèle de l’être accompli. Son discours reflète, et garantit, l’ordre du monde : sa parole exprime à la fois la vérité – puisque l’orateur est d’abord avocat dans un procès – l’équilibre de la cité – puisqu’il est un homme politique -, l’harmonie intérieure – puisqu’il est l’homme vertueux par excellence -, et la droiture de ce qu’il pense – car ses mots sont les véhicules transparents de sa pensée. Mais ce bel ordre du discours se brouille parfois, et avec lui la figure de notre orateur. Des figures de style comme l’ironie introduisent la possibilité que l’orateur dise autre chose que ce qu’il pense, qu’il use de détours, qu’il cache le fond de sa pensée, voire qu’il mente. Possibilité vertigineuse pour les classiques, car c’est alors tout l’ordre du monde qui en est ébranlé. Et s’il n’y avait pas de fond derrière les mots ?

Dans Primary Colors, un candidat à la présidence des Etats-Unis, joué par Travolta, est accoudé au comptoir d’un bar, seul avec une serveuse qui essuie ses verres, au milieu de la nuit. Et il ne peut s’empêcher de lui faire la retape, encore et toujours, pour ses idées, sa personne, encore et toujours le même boniment. Est-il sincère, poussé par la passion pour les idées qu’il porte ? N’est-il pas plutôt guidé par le désir de conquérir encore une voix, fût-elle dérisoire ? A-t-il tant fait le masque que celui-ci lui est resté et que, derrière, il n’y a maintenant plus personne ?

          – Mais y a-t-il jamais eu quelqu’un ? Comme les journalistes, les politiques ont choisi cet univers pour ne pas avoir d’intériorité.

Tout citoyen s’interroge sur la sincérité du politique, à commencer par le sceptique qui peuple désormais nos démocraties. Á l’heure de l’élection présidentielle, derrière le programme à peine lu, c’est la sincérité de l’homme, ou de la femme, que chacun essaie de jauger.

Une Plume ne devrait pas se poser la question de la sincérité du politique. Seule la sienne devrait lui importer. Mais je ne peux écrire pour mon orateur sans chercher ce que je viens habiller sous le tissu des phrases et des coups à mille bandes. Comment passer derrière ?

Là où les gens pensent le trouver naturel, c’est par où il s’échappe à lui-même. Lapsus, erreurs, improvisations, tout ce qui déborde le cadre soigneusement préparé par son équipe. Tout ce qui le trahit. Ils oublient qu’il ne s’agit pas là d’échappées de sincérité, mais de moments où la fonction pèse tant sur le naturel qu’il en est déformé. Ceux qui reçoivent chaque faute de grammaire d’un de nos dirigeants comme une atteinte à la dignité du savoir peuvent-ils imaginer la fatigue, les nuits de travail, les préoccupations en tous genres qui se pressent dans un esprit sommé à chaque heure de parler de façon définitive ?

Ce qu’on ne lui pardonne pas, derrière son maniement parfois fautif de la langue, c’est qu’il n’ait pas « les bonnes manières ». Dans Armance, deux jeunes « fille et fils de » évoquent l’arrivée au pouvoir de ceux qu’aucune naissance ne prédestine à l’exercer, et qui vont le faire avec des mots grossiers et des manières cassantes. Ils se lamentent d’être les prêtres d’une religion morte, d’incarner le formalisme sans pouvoir contre l’énergie sans forme. Dans les hauts cris contre son naturel, il entre aussi de la détestation pour l’homme nouveau.

______________________________

Sous la plume : Petite exploration du pouvoir politique, Robert Laffont (14 février 2013)

Normalienne, agrégée de lettres classiques, Marie de Gandt est enseignante de littérature comparée à l’université de Bordeaux III.

Quitter la version mobile