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Projet de mine de cuivre: Aung San Suu Kyi s’aliène les Birmans

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« Avant, tout le monde ici aimait Mère Suu »

Comme la plupart des salons de thé et des hôtels du Myanmar, le magasin de Sandar, une commerçante de 32 ans, a longtemps accroché une photo d’Aung San Suu Kyi, ou «Mère Kyi », l’icône de la résistance à la dictature militaire.

Mais le portrait du prix Nobel de la paix, n’est aujourd’hui plus cloué au mur du magasin de cette ville située sur la montagne de Leptadaung, dans le nord du pays. « Je l’ai arraché la semaine dernière », explique-t-elle en regardant la photo qui se trouve désormais sur une étagère poussiéreuse.

« Avant, tout le monde ici aimait Mère Suu, comme le Buddha. Mais ce n’est plus le cas ».

Depuis que la junte militaire a annulé la victoire de son parti aux élections générales de 1990, et qu’elle a été placée en résidence surveilléeAung San Suu Kyi est considérée par beaucoup comme la cheffe légitime du pays. En Birmanie comme à l’étranger, Aung San Suu Kyi est percue comme une combattante de la liberté, comparable à Nelson Mandela ou à Martin Luther King Jr.

Aung San Suu Kyi soutient un projet controversé

Mais depuis plusieurs mois, la Dame de Rangoun est vivement critiquée pour son soutien au projet controversé de mine de cuivre. Les agriculteurs protestent en effet contre l’implantation d’une mine de cuivre à Leptadaung, dans le nord du pays : un projet géré par une société chinoise et la société militaire Myanmar Economic Holding.

A son arrivée dans la région, le leader de l’opposition politique a reproché aux agriculteurs d’avoir protesté sans permis délivrés par la police – ce qui a été demandé et refusé – et a appelé la foule à voir les aspects positifs d’un projet qu’elle juge bénéfique pour l’économie birmane. Le 29 novembre dernier, les opposants à l’implantation de la mine avaient manifesté contre l’insuffisance des indemnisations la violation des normes environnementales.

Violente répression de la manifestation 

La violente répression de la manifestation dans le nord du pays avait suscité d’une vague d’indignation à travers tout le pays. Des photographies avaient été publiées sur le site Eleven Media montrant un moine brûlé et un impressionant incendie sur le site. Chargée d’enquêter sur ces évènements dans le cadre d’une commission parlementaireAung San Suu Kyi continue toujours de soutenir le projet de mine malgré l’incident.

« Nous avons été choqués », déclare Zaw Win, 40 ans, qui comme de nombreux habitants à essayer d’empêcher l’arrivée du convoi d’Ang San Suu Kyi sur le site.

« Ang San Suu Kyi nous regardait de sa voiture de luxe », a déclaré Zaw Win. Pendant la séance de questions-réponses, « elle nous parlait de manière hautaine, comme si nous étions sans instruction ».

Critiquer Aung San Suu Kyi : un tabou en Birmanie

Critiquer publiquement Aung San Suu Kyi est tabou en Birmanie. Même dans les collines déchirées par les conflits où la méfiance à l’encontre du gouvernement et du parti d’ Aung San Suu Kyi est profonde, les critiques contre Aung San Suu Kyi sont formulées avec un certain tact et politesse. Ceux qui la condamnent avec des termes forts font partie d’une minorité en colère.

« Tous les gens de ce pays aiment Aung San Suu Kyi », dit Maung Ant, un poète de 80 ans avec l’accent britannique qu’on lui a enseigné à l’époque coloniale. « Ils comptent sur elle pour leur libération. Ils ont de grands espoirs en elle ». Mais Maung Ant est fermement opposé au projet d’implantation de la mine. « Désormais, tous ces gens constatent que leurs espoirs ne se réaliseront pas ». « Notre pays a été dans l’obscurité pendant de nombreuses années. Nous avions espéré trouver quelqu’un pour nous sortir de cette situation. Nous pensions que c’était elle ».

« Désormais, elle n’est plus notre chef »

Presque tous les villageois interrogés par GlobalPost autour de la montagne Letpadaung ont expliqué être prêts à accueillir Aung San Suu Kyi à bras ouverts si elle arrêtait de soutenir ce projet de mine.

« Autrefois, les gens ont beaucoup donné de leur vie pour elle. Certains sont allés en prison pour elle », déclare un manifestant, originaire de Yangon, qui a rejoint le mouvement anti-mines. « Désormais, elle n’est plus notre chef ».

U Sanvara, un moine de 54 ans, a rencontré Aung San Suu Kyi lors de sa tournée dans la région minière. « Tante Suu dit qu’elle est le leader du peuple », indique-t-il. « Mon cœur dit que ce n’est plus vrai. Elle appartient au régime, et ne répond pas aux désirs de la population ».

Une série de promesses

Depuis la visite d’Aung San Suu Kyi à Letpadaun, une série de promesses ont été faites par les responsables, comme la compensation des terres, le respect des normes environnementales ou encore la création d’emplois. « Les villageois concernés recevront une attention particulière », a souligné Myint Aung, un gestionnaire de projet de la mine.

Win Tin, l’un des fondateurs du parti de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a quant à lui soutenu Aung San Suu Kyi, expliquant qu’elle avait fait face au problème avec « bravoure et de courage ». « Si l’armée avait traité ces problèmes, la crise aurait été beaucoup plus profonde », selon lui.

Une confiance fragilisée

Mais pour les villageois, comme Nay Zar Oo, 25 ans, leurs sentiments envers Aung San Suu Kyi ne seront plus jamais les mêmes. « Quand elle est venue ici, elle nous a demandé de laisser le projet de mine de cuivre se poursuivre. Que c’était notre avenir et que nous allions pouvoir en profiter », explique la jeune femme. « Mais ce n’est pas vrai. Nos bénéfices proviennent de la terre : des légumes, du bois pour se chauffer et tout ce qui vient de la montagne ».

« S’il vous plaît, dites à Tante Suu que nous voulons toujours l’aimer », déclare Nay Zar Oo. « Peut-être que nos attentes étaient trop grandes. Nous attendions trop d’elle. Nous le faisons toujours ». 

Global Post/ Adaptation Louise Michel D. pour JOL Press

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