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Quand l’Union européenne reproduit les erreurs de la République romaine

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Qui parle de « crise identitaire » parle automatiquement de racines culturelles et religieuses. Dans le cas de l’Union, avoir les idées claires exige de remonter un passé plus que millénaire. C’est dans cette perspective que Le Déclin s’inscrit en analysant l’importance de la république romaine tardive pour l’identité européenne du XXIème siècle.

David Engels propose une comparaison rigoureuse entre les événements du monde romain du Ier siècle av JC et l’Europe actuelle. Plus simple d’accès que la grande étude d’Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident, Gallimard), cette comparaison se révèle stupéfiante et renferme certaines clés importantes pour comprendre de nombreux problèmes actuels.

Extraits de Le Déclin – La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine, de David Engels (éditions du Toucan)

Les analogies entre la crise identitaire européenne du XXIe siècle et celle de la République romaine tardive restent donc impressionnantes. Elles sont, nous semble-t-il, suffisantes pour en faire non seulement un cas de parallélisme accidentel, mais un véritable paradigme pour notre avenir : il y a deux mille cent ans comme aujourd’hui, l’appartenance ethnique, le comportement démographique, les traditions familiales, l’identité culturelle, spirituelle, intellectuelle et artistique, et finalement les idéaux sécuritaires, institutionnels, fédéraux et politiques sont devenus si conflictuels que la résolution de cette crise devra, soit passer par une implosion du système pour trouver sa résolution, soit par un retour en force à un autoritarisme conservateur.

À l’égard de ce constat, et vu la peur qu’un excès d’identification avec une valeur politique forte puisse, à nouveau, provoquer des guerres européennes, on constate que la crise inhérente à notre évolution culturelle se manifeste par une difficulté extrême à définir une quelconque identité. Ainsi, elle privilégie toujours la poursuite de notions éphémères telles que le « progrès » et l’« économie », plutôt que des valeurs durables telles que le respect de la tradition.

Car, contrairement à ce que pensent de nombreux théoriciens, une identité ne se « construit » pas. Elle appartient bel et bien au domaine du vécu et du ressenti, et en tant que telle, elle est le résultat d’une lente évolution que l’on ne peut remplacer par l’application de quelques formules abstraites à la mode, ni par le refoulement de beaucoup d’autres éléments jugés politiquement incorrects. Citons ici le psychanalyste Erik H. Erikson :

« Je me dépêche de déclarer que je n’offrirai aucune explication définitive de l’identité dans ce livre. Plus on écrit sur ce sujet, plus le mot devient un terme pour quelque chose d’aussi incompréhensible que vague. On peut seulement explorer l’identité en établissant son indispensabilité dans des contextes variables[1]. »

Des valeurs identitaires et un vécu commun, l’Europe en a plutôt trop que pas assez. La question de savoir si l’identité européenne est formée autour d’un seul archétype essentiel, commun à toutes les nations du continent[2], ou si elle consiste juste en une construction sociale accidentelle 572 [3]–question qui fait actuellement rage dans les milieux sociologiques – me semble largement académique et peu productive en ce qui concerne l’Union européenne. C’est précisément l’histoire millénaire de l’Europe, avec tous ses conflits et ses partages, qui en est l’essence dynamique. L’Europe est beaucoup plus qu’une addition d’éléments géographiques unis superficiellement par une forme de gouvernance en péril. C’est une idée spirituelle, comme l’a si bien formulé Thomas Mann :

« Si je me joins à ceux à qui l’idée de l’Europe tient à cœur, si je m’oppose au nationalisme international, qui se refuse à comprendre la situation du monde qui requiert obligatoirement une nouvelle solidarité des peuples de l’Europe – cette attitude est probablement motivée par des expériences personnelles : l’expérience de la solidarité européenne, l’expérience que les peuples de l’Europe ne sont que des infléchissements et variations d’une unité psychique supé- rieure. Une telle compréhension est très loin […] d’un démocratisme anti-culturel. »

Ainsi, l’idéal européen est-il un idéal « humain » spécifique et donc non nécessairement « humaniste » (dans le sens d’universaliste). C’est une entreprise culturelle unique, unie et partageable, mais non exportable. Car elle est fédérée par mille ans de rêves, d’ambitions, de folies, d’exploits et même de crimes, avec toutes ses conséquences positives et négatives, mais dont le fond a toujours été cette volonté « faustienne » de repousser toutes les limites personnelles et collectives : aller « plus haut, plus vite, plus loin » que les autres – en bien comme en mal. Le sentiment d’un vide identitaire renvoie donc moins à un vide institutionnel qu´à une crise profondément liée au moment historique que vit la civilisation occidentale. Ce moment est inévitable dans l’évolution de chaque culture humaine, comme le montre le parallèle romain.

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David Engels est belge, docteur en Histoire Ancienne, professeur des universités, titulaire de la chaire d’histoire du monde romain à l’université Libre de Bruxelles.

Le Déclin – La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine, éditions du Toucan (6 février 2013)

[1] E.H. Erikson, Identity. Youth and Crisis, London, 1968, p. 9 : « I hasten to declare that I will not offer a definitive explanation of it (identity) in this book. The more one writes about this subject, the more the word becomes a term for something as unfathomable as it is all-pervasive. One can only explore it by establishing its indispensability in various contexts. » (Trad. DE)

[2] . Cf. la présentation excellente chez H. Wagner, Bezugspunkte europäischer Identität, Münster/Hamburg/London, 2006, p. 32-40.

[3] Cf. comme livre clef : B.Anderson, Imagined Communities. Reflections on the Origin and the Spread of Nationalism, new York, 1983.

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