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«Silk Road»: la vente de drogue en ligne, défi pour les autorités

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Le sénateur Chuck Schumer a qualifié l’« unique plateforme » pour la vente de méthamphétamine, héroïne et cocaïne de « tentative la plus effrontée que nous ayons jamais vue de vendre des drogues en ligne ».

Marché clandestin en ligne

C’était en juin 2011, quelques jours seulement après que le blogueur américain Adrian Chen (qui écrit pour le blog Gawker) a démasqué le site, connu sous le nom de « Silk Road » [Route de la Soie]. L’indignation de Chuck Schumer était palpable. Il a d’ailleurs ordonné au procureur général Eric Holder de stopper immédiatement ce marché clandestin. Mais près de deux ans se sont écoulés, et la fermeture du site n’a apparemment toujours pas eu lieu.

Le site a mystérieusement disparu pendant deux semaines en novembre 2012, et son propriétaire, alias « Dread Pirate Roberts », a été tenu au secret des forums en ligne. Cela a conduit certains à spéculer que la police l’avait arrêté. Bien au contraire.

En 2012, le site brassait « un peu plus de 1,2 million de dollars par mois »

En raison d’une explosion de sa popularité, toute la structure du site « Silk Road » a dû être repensée pour accueillir de nouveaux clients et renforcer la sécurité, a déclaré « Dread Pirate Roberts » dans un post à son retour. Et des nouvelles performance ont été ajoutées afin de mieux protéger les utilisateurs. Loin d’être fragilisé, le site « Silk Road » semble au contraire s’être renforcé.

Début 2012, le site brassait « un peu plus de 1,2 million de dollars par mois » dans les transactions, selon une étude du professeur Nicholas Christin de l’université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, qui a étudié « les variations quotidiennes du marché pendant près de six mois en 2012 ». Et les affaires ont été en croissance constante, bien que de façon « non exponentielle », écrit Nicholas Christin dans ses rapports. Ce qui entraîne tout de même des commissions de 92 000 dollars par mois pour le site lui-même.

Cela représente, bien sûr, de « l’argent de poche » dans le monde du trafic transnational de drogue, où des centaines de milliards de dollars passent de mains en mains chaque année. Mais comme le révèle la déclaration du sénateur Chuck Schumer, le total mépris de « Silk Road » pour la loi provoque l’indignation.

Huit personnes ont été arrêtées aux Etats-Unis en 2012 pour trafic de drogue en ligne

« Silk Road » est loin d’être la première plateforme de vente en ligne de drogues illicites. D’autres sont présentes sur les sites Black Market, The Armory, Reloaded et General Store. Les organismes veillant à l’application de la loi mènent partout dans le monde une bataille des plus ardues contre ces sites, avec parfois un certain succès.

Huit personnes ont été arrêtées aux Etats-Unis l’an dernier dans le cadre du trafic de drogue en ligne, mais aucun n’était impliqué dans la vente sur « Silk Road ». L’Australie a attrapé le premier trafiquant lié à « Silk Road », condamné en février 2013 ; un tribunal de Melbourne avait déclaré Paul Leslie Howard coupable de vente de cocaïne, MDMA, amphétamines, LSD et marijuana. Il encourt trois à cinq ans de prison.

« Le trafic de drogue sur Internet est difficile à réprimer »

Alors que les autorités répressives sont impatientes de fermer « Silk Road », des sources bien informées disent qu’il sera difficile de le faire, grâce aux mesures très élaborées prises par le site pour protéger ses clients. « Nous sommes conscients des activités pratiquées par Silk Road », a déclaré Rusty Payne, le porte-parole de la Drug Enforcement Administration.

« Le trafic de drogue sur Internet est vraiment difficile à réprimer. Il y a beaucoup d’obstacles, et beaucoup de technologie qui rendent difficile l’application des lois », explique Rusty Payne. « Souvent, il est facile pour ces sites de se cacher derrière un serveur ». Se cacher des autorités, tout en se mettant facilement à la disposition de ceux qui connaissent le site, c’est précisément ce que « Silk Road » s’emploie à faire.

Un système ultra sécurisé pour cacher l’identité des clients

Pour commencer, vous ne pouvez pas le trouver grâce au moteur de recherche Google, ni en tapant simplement silkroad.com. Pour préserver l’anonymat des clients, le site est accessible uniquement via TOR, un réseau de serveurs décentralisés qui permet aux utilisateurs de masquer leur identité en ligne et de crypter leurs connexions internet. Une fois que vous êtes sur TOR, l’adresse web de « Silk Road » n’est pas très virale : ianxz6zefk72ulzz.onion.

Alors que le puissant système de TOR signifie qu’il y a peu de chance que les autorités puissent identifier les revendeurs et les clients sur le site, un autre obstacle potentiel pour elles est la devise utilisée pour effectuer les opérations.

Bitcoin, la monnaie numérique qui conserve l’anonymat

Pour éviter les traces faciles laissées par les cartes de crédit, les clients doivent faire des achats avec bitcoin – une monnaie numérique défendue comme un moyen de maintenir la confidentialité en ligne. Bitcoin n’est pas complètement anonyme, mais il peut être personnalisé pour masquer l’identité d’un utilisateur.

« C’est ce que j’appelle « l’anonymat défini par l’utilisateur », car il n’est pas anonyme en dehors de la plateforme. C’est anonyme uniquement pour les utilisateurs prudents », a déclaré Jon Matonis, un chercheur sur la monnaie électronique, ancien PDG d’Hushmail et membre de la fondation bitcoin. « Tout comme vous avez des rapports sexuels protégés, vous devez pratiquer bitcoin en toute sécurité ».

Une monnaie de marché noir ?

De plus en plus, les services de police sont hostiles à bitcoin, la considérant comme une monnaie de marché noir. « Bitcoin va probablement continuer à attirer les cybercriminels qui y voient un moyen de déplacer ou de voler des fonds, ainsi qu’un moyen de faire des dons à des groupes illicites », dit un rapport publié par le FBI l’année dernière. « Si bitcoin se stabilise et gagne en popularité, il deviendra un outil plus utile pour diverses activités illégales au-delà de la sphère informatique ».

Pourtant, les services de police sont censés élaborer des stratégies pour arrêter les fautifs en ligne, en utilisant les vulnérabilités de bitcoin. Mais l’interdiction du service aurait un impact collatéral.

Par exemple, les blogueurs dans des endroits comme l’Arabie Saoudite ou le Vietnam peuvent utiliser bitcoin pour payer des services d’hébergement sur WordPress, ce qui réduit la probabilité que les autorités locales puissent découvrir leur identité. « Sur le long terme, le police sera à la recherche de quelques goulots d’étranglement et ils vont être déçus », a déclaré Jon Matonis. « Bitcoin n’est illégal dans aucun pays, mais ce n’est pas non plus une monnaie. Vous vous trouvez face à un casse-tête mathématiques ».

Pour l’instant, bitcoin demeure une préoccupation relativement mineure, sa valeur en circulation s’élève à « seulement 130 millions de dollars au total », a ajouté Jon Matonis, et le trafic de drogue est censé représenter une petite fraction. « C’est comme quelques pièces de monnaie qui tombent dans le canapé du trafiquant de drogue », a déclaré Jon Matonis.

Des failles dans le système de sécurité

Mais en dépit des luttes pour l’application de la loi et le maintien de l’ordre dans le commerce de la drogue en ligne, l’anonymat des utilisateurs de « Silk Road » n’est peut-être pas aussi solide que les clients le croient. Alors que les internautes font entièrement confiance au réseau TOR pour que celui-ci garde leur anonymat, il semblerait en effet que cette confiance soit quelque peu injustifiée.

« Le réseau TOR n’est pas impossible à cracker. Il est notoirement mauvais d’un point de vue sécuritaire », affirme Richard Stiennon, auteur de Surviving Cyberwar [« Survivre à la cyberguerre »] et analyste de recherche chez IT-Harvest, une entreprise de sécurité numérique. Richard Stiennon a également noté qu’il avait été personnellement témoin de « fissures » et de « crackage » du réseau TOR.

La police est de plus en plus capable d’infiltrer les réseaux

« J’ai vu pendant ces deux dernières années que les autorités chargées de faire appliquer la loi sont de plus en plus capables d’infiltrer des réseaux, se faisant passer pour des membres de la communauté, afin d’obtenir suffisamment d’informations pour identifier les personnes », a déclaré Richard Stiennon. En 2012, par exemple, il y a eu un certain nombre d’arrestations de pirates impliqués dans des collectifs en ligne comme les Anonymous.

Bien qu’il existe de nombreuses façons de rester anonymes pour les utilisateurs, le niveau de confiance placé dans les organisations et les développeurs derrière le logiciel est dans bien des cas injustifié. Les entreprises affirment souvent que les connexions au serveur et d’autres informations des utilisateurs ne sont pas conservées, mais ces allégations sont pratiquement impossibles à confirmer. « Beaucoup de serveurs prétendent ne pas conserver tout cela, mais comment savez-vous que c’est la vérité ? », a ajouté Richard Stiennon.

En conservant l’anonymat, bitcoin remet en cause le modèle traditionnel de paiement en ligne

Mise à part l’utilisation de bitcoin pour des achats illégaux en ligne, la transaction n’est pas différente du paiement par cash de la drogue sur le marché illicite du monde réel.

« Avec du cash, vous gardez votre anonymat. Vous pouvez sortir et acheter tout ce que vous voulez avec de l’argent liquide de manière anonyme et on ne peut pas suivre votre trace. Si une femme veut payer pour un avortement de manière anonyme, mais qu’elle ne veut pas utiliser sa carte de crédit lors de la transaction, elle peut encore payer avec de l’argent liquide », explique Jon Matonis. « Nous utilisons déjà de l’argent liquide de façon anonyme dans nos vies quotidiennes. La seule chose que bitcoin fait, c’est conserver ce même anonymat mais dans l’environnement numérique ».

Pour endiguer le flux de drogues sur les sites de vente en ligne, la police devrait s’appuyer sur les compétences acquises dans la surveillance des hackers plutôt que de réglementer le marché en plein essor de la monnaie en ligne.

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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