La Cour de justice européenne doit, cette semaine, condamner les dispositions du Code général des impôts qui limitent à cinq cartouches les achats de tabac à l’étranger. Cette limitation, introduite dans la loi en 2006, est selon elle contraire au principe de libre circulation des marchandises. Un condamnation qui fait bondir Jean-Luc Renaud, secrétaire général des Buralistes de France. Entretien.
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La Cour de justice européenne doit cette semaine condamner les dispositions du Code général des impôts qui limitent à cinq cartouches les achats de tabac à l’étranger. Cette limitation, introduite dans la loi en 2006, est selon elle contraire au principe de libre circulation des marchandises.
Dès que le jugement sera publié, Bercy a annoncé que le gouvernement diffusera « immédiatement » une circulaire auprès des services douaniers « visant à faire respecter l’interdiction d’importer en franchise de droits des cigarettes destinées à être revendues et d’enfreindre ainsi le monopole de vente des buralistes », a annoncé le ministère du Budget dans un communiqué.
Cette décision de la Cour de justice européenne est incompréhensible pour les buralistes. Comment peut-on d’un côté dire que le tabac est mauvais pour la santé et de l’autre faciliter sa circulation ? Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette mesure, JOL Press est allé à la rencontre de Jean-Luc Renaud, secrétaire général des Buralistes de France. Entretien.
JOL Press : Que pensez-vous de la condamnation de la Cour de justice européenne ?
Jean-Luc Renaud : C’est une aberration ! Nous sommes très en colère. A l’heure où l’on met en place une politique de santé publique européenne, où l’on nous dit en France qu’il est interdit de vendre du tabac aux mineurs et qu’il est n’est plus permis de fumer dans les lieux publics, vous avez l’Europe qui veut condamner la France sous prétexte que sa règlementation serait contraire au principe de libre circulation des marchandises. C’est incohérent.
Le tabac ce n’est pas une marchandise comme les autres, c’est un produit dangereux, c’est écrit dessus : « Fumer tue » ! Cet « open-bar » aux frontières est criminel. La France vend le tabac plus cher qu’en Belgique, en Espagne ou au Luxembourg : nous clients vont donc se servir sans trop de soucis hors de nos frontières, et c’est proprement scandaleux.
JOL Press : Bercy veut faire en sorte que rien ne change et propose que les douaniers fassent signer un formulaire aux détenteurs de cartouches afin qu’ils assurent ne pas vouloir revendre ces cigarettes. L’importateur devra prouver que ces cartouches sont bien destinées à une consommation personnelle. Que pensez-vous de cette proposition ?
Jean-Luc Renaud : Je vous mets au défi de me faire dire que j’achète des cartouches pour les revendre. Je vous garantis que je pourrais affirmer, droit dans les yeux, que ces cigarettes sont destinées à ma consommation personnelle alors que je souhaite les revendre. Les douaniers vont être réduits à faire de la pédagogie en disant aux importateurs qu’ils fument trop. Que voulez-vous qu’ils leur disent d’autres ?
JOL Press : Les ventes de tabac en dehors du réseau des buralistes représentent environ 20% de la consommation en France, selon les estimations de Bercy. Ce taux risque-t-il d’augmenter considérablement ?
Jean-Luc Renaud : On va passer à 25, 30%… Qui peut le dire aujourd’hui ? C’était déjà le sport national : le week-end, quand on avait le temps, on passait la frontière pour rapporter quelques cartouches – et je sais de quoi je parle, je travaille dans le Lot-et-Garonne, à une centaine de kilomètre de l’Espagne. Et là je ne parle même pas de ceux qui veulent faire du commerce, mais de ceux qui ramènent des cigarettes pour la famille et les amis. Maintenant, au lieu de ramener cinq cartouches, ils en prendront 20 ou plus encore…
JOL Press : Que demandez-vous au gouvernement ?
Jean-Luc Renaud : Admettons que nous ne puissions rien faire contre l’Europe, mettons en place des mesures en France afin de ne plus augmenter le prix du tabac tant que nos voisins européens ne se sont pas rapprochés de nos prix. Le gouvernement nous a déjà promis une augmentation au 1er juillet : vous imaginez la catastrophe économique que cela va représenter autant pour les caisses de Bercy que pour nous ! On demande aussi au gouvernement qu’il décide de se battre de manière efficace contre le marché parallèle sous toutes ses formes. Si on a du mal à contrôler les véhicules, rien ne nous empêche de fermer tous ces sites sur Internet qui livrent le tabac dans les boîtes aux lettres. Or rien ne se fait.
JOL Press : Et pour quelles raisons, selon vous ?
Jean-Luc Renaud : Un manque de moyen ? Je ne sais pas. Une décision politique ? Peut-être bien. On a peut-être fixé les priorités ailleurs. On voudrait anéantir le réseau des buralistes en France, on ne s’y prendrait pas autrement. Jusqu’ici on pouvait comprendre un certain nombre de mesures mais là ce n’est plus possible. C’est de l’incohérence et de la bêtise.
JOL Press : Qu’avez-vous l’intention de faire ?
Jean-Luc Renaud : On va monter des actions. On est actuellement en train de faire un tour de France afin de rencontrer toutes nos fédérations, tous élus de notre profession et on va mettre en place des systèmes qui vont gêner le gouvernement. Il faut que nous soyons entendus. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, ne cesse de répéter que la cigarette est dangereuse et à côté de cela, on va laisser les gens acheter des cigarettes en grande quantité, à nos frontières.
Parce que vous pensez bien qu’un grand nombre de personnes qui n’ont rien à faire et qui touchent le RSA, vont deux à trois fois par semaine aller au-delà des frontières, pour ramener 20, 25, 30 cartouches qu’ils iront vendre devant les lycées. Il serait criminel de la part de Bercy de laisser faire des choses comme cela !
JOL Press : Pensez-vous que le monopole des ventes pour les buralistes va un jour disparaître comme dans d’autres pays, comme la Belgique ou la Luxembourg, où on peut acheter des cigarettes en grandes surfaces ?
Jean-Luc Renaud : C’est peut-être ce que l’on est en train de chercher à faire mais vous vous doutez bien qu’on ne va pas laisser faire. On va se battre, même si je ne pense pas que ce soit l’intention du gouvernement français. Mais c’est une de nos craintes.
JOL Press : Comment envisagez-vous l’avenir du métier de buraliste ?
Jean-Luc Renaud : On est environ 27 000 buralistes en France. La seule chose que nous voulons, c’est pouvoir travailler en paix. Il faut arrêter de croire que le jour où il n’y aura plus de buraliste, il n’y aura plus de fumeur. C’est totalement faux. La nature a horreur du vide. Le jour où ne seront plus là, nous serons remplacés par les réseaux mafieux qui n’assureront plus la traçabilité des produits, il n’y aura plus aucune garantie pour l’Etat. Personne ne souhaite notre disparition, alors qu’on nous laisse travailler convenablement.
Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press