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Accord ou désaccord sur l’emploi?

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Le projet de loi sur l’emploi, cher à François Hollande, est contesté par une partie de la gauche et des syndicats. Ce texte sensible, qui est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 entre le patronat (Medef, CGPME, UPA) et trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) sur davantage de flexibilité pour les employeurs[1] contre de nouveaux droits pour les salariés[2]. D’après le rapporteur du projet de loi, le député socialiste Jean-Marc Germain, un élargissement de la participation des salariés au Conseil d’administration des entreprises, qui plus est réclamé par toute la gauche, nécessiterait que « les esprits évoluent, notamment au sein du patronat financier ». Que faudra-t-il faire pour que, conformément au souhait du président de la République française, l’accord sur l’emploi protège mieux les salariés et permettent en même temps « plus de souplesse » aux entreprises en cas de difficultés ?

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Révision de la loi de 1969 sur les sociétés

La loi de 1969 sur les sociétés permet à celles-ci d’organiser le pouvoir en leur sein, soit à partir d’un Conseil d’administration, représentant les actionnaires, soit par le truchement d’un Conseil de surveillance à la façon de la cogestion allemande. Or, la grande majorité des sociétés françaises ont opté pour un Conseil d’administration dont les administrateurs se retrouvent les uns chez les autres et touchent d’importants jetons de présence, si bien que l’économie française est détenue par deux ou quatre centaines de personnes[3]. En conséquence, la loi de 1969 devra être révisée et le système du Conseil de surveillance généralisée. En faisant participer le personnel à la gestion de l’entreprise, on réduira effectivement cet inconvénient.

Entreprise et syndicats

Pour Frederick E. Emery[4], il existe une distinction entre entreprise et société anonyme ou SARL. En fait, seule la société est définie légalement en droit[5]. Si la société est une personne morale qui spécifie les préoccupations des actionnaires propriétaires avec le profit comme seule finalité, l’entreprise est a contrario un système économique de production[6] – en vue de la création de richesses – dont le profit n’est pas la finalité principale, ni son premier objectif.

On est confronté à l’opposition des deux formes de capitalisme : le capitalisme anglo-saxon, où seuls comptent la société et le profit, et le capitalisme européen et japonais, où priment l’entreprise et la valeur ajoutée. Il faudrait donc définir juridiquement l’entreprise, doter l’entrepreneur d’un statut véritable, créer de nouveaux outils de gestion de l’entreprise associés à ceux de la société.

L’entreprise doit être envisagée comme une association de propriétaires et du personnel en vue de la création de la valeur ajoutée. Il n’y a donc pas d’entreprise sans personnel[7], tout comme rien n’est possible pour réformer l’entreprise sans syndicats puissants et représentatifs. Pour permettre la mise en place d’un système analogue à la cogestion allemande, il y aurait lieu d’accorder aux syndicats en France une place plus importante que celles qu’ils occupent actuellement. À cet effet, il faudra rendre l’adhésion des salariés au syndicat de leur choix obligatoire à l’embauche dans l’entreprise, la collecte des cotisations devant être assurée par l’entreprise elle-même sur le bulletin de salaire.

Des lois sur l’actionnariat ouvrier

Dès 1960, il fut question à l’Assemblée nationale d’une clause prévoyant que dans les sociétés anonymes employant plus de 50 salariés, le Conseil d’administration devait comprendre au moins un quart de salariés de l’entreprise ayant au moins 5 ans de présence, et élus par les autres salariés sur présentation par les organisations syndicales. Il est indispensable de remettre en vigueur un tel dispositif, qui ne fut pas adopté à l’époque. Dans le  prolongement des fonctions du Comité d’entreprise, du rôle des délégués du personnel, il faut mettre en place des lois sur l’actionnariat ouvrier. À cet effet, une loi du 27 avril 1917 fut intégrée à l’époque, en complément de la loi de 1867 sur les sociétés, sous une rubrique créée spécialement pour la circonstance. La loi de 1917 édictait que des sociétés dites à participations ouvrières pouvaient se constituer par stipulation dans les statuts. Telle qu’elle subsiste, cette loi, bien que facultative en 1971, reste amendable et applicable en vue de l’amorce d’un système de cogestion plus rigoureux encore que la formule allemande.

D’une part, par l’introduction de la cogestion en France inspirée de la cogestion allemande, ces propositions auxquelles s’ajoutent les lois Auroux de 1982 doivent introduire dans l’entreprise le principe d’un dialogue permanent entre direction et personnel. L’actionnariat ouvrier, d’autre part, reste à étudier sur la base de la loi de 1917 mais devra donner peu à peu au personnel une position importante au Conseil d’administration aux côtés de celle des actionnaires de capital.

Les moyens de production et d’échange

Il faudra à tout prix définir les contours modernes de ce que l’on peut appeler la socialisation des moyens de production et d’échange. La cogestion, l’actionnariat ouvrier, le capitalisme populaire en particulier par l’investissement rural en constituent les biais démocratiques et la mise en œuvre progressive. Il faudra par ailleurs redéfinir dans quelles conditions l’État devra mettre de l’ordre, avec des objectifs précis, dans la politique de privatisations/nationalisations, pour assurer une croissance économique satisfaisante, tout en garantissant les intérêts de la Nation française. Ainsi faudra-t-il redéployer la politique générale de privatisations/nationalisations que devra mettre en œuvre de façon cohérente le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Les grandes idéologies collectivistes anciennes d’origine guesdiste et les nationalisations intégrales mises à l’écart, une logique de la politique économique de l’État devra être rappelée à cette occasion.

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Notes :


[1] Accords de maintien dans l’emploi, mobilité interne, refonte des procédures de licenciements…

[2] Accès élargi aux mutuelles, droits rechargeables au chômage, formation…

[3] Lesquelles constituent une oligarchie mise en place dès 1986, lorsque la droite française avait repris le pouvoir et procédé aux privatisations des sociétés nationalisées par la gauche.

[4] In Qu’est-ce que la cogestion ?, Éditions Techniques et Économiques, 1969.

[5] C’est un contrat par lequel plusieurs personnes physiques ou morales mettent en commun des biens, des actifs, des capitaux en vue de partager le bénéfice économique qui pourra en résulter.

[6] La richesse créée n’est d’ailleurs pas la marchandise vendue elle-même, mais le résultat de la transformation qui aboutira au produit vendu.

[7] Ceux des managers qui imaginent améliorer leur gestion par la suppression du personnel et son remplacement par des machines et instruments détruisent inconsciemment leur entreprise en supprimant le savoir-faire, capital intellectuel que seuls savent accumuler les individus vivants.

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