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Affaire Cahuzac: à quoi rime ce «striptease patrimonial»?

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Après l’affaire Cahuzac, les membres du gouvernement vont devoir publier leur patrimoine avant le 15 avril. Une mesure qui divise au sein de la classe politique, certains dénonçant un « numéro de voyeurisme et d’hypocrisie ». « Nous sommes dans la surenchère démagogique alors que tout cela ne sert à rien », a souligné de son côté Hervé Morin. Mais qu’en est-il vraiment ? Eléments de réponse avec Guillaume Evin, auteur de Je n’aime pas les riches : Enquête sur Hollande, la gauche et l’argent, co-écrit avec Philippe Martinat (Editions du Moment).

JOL Press : Les uns après les autres, les responsables politiques dévoilent leur patrimoine. Il ne fait pas bon être riche aujourd’hui en politique ?
 

Guillaume Evin : Ce n’est pas nouveau en France. La France a un très mauvais rapport avec l’argent, notamment la gauche. Les socialistes accumulent deux handicaps vis-à-vis de la richesse : d’une part l’héritage judéo-chrétien accompagné d’un vieux fond paysan et d’autre part la vulgate marxiste mal digérée. Toute cette génération, qui a été nourrie de tout cet affrontement idéologique, de cette hostilité vis-à-vis de la richesse, du capitalisme, des patrons, arrive aux affaires et n’arrive pas à se défaire de cette idée qu’être riche c’est suspect.

C’est un peu une incongruité quand on voit que dans d’autres pays on s’en accommode beaucoup mieux. Sans parler des Etats-Unis, si on regarde l’Allemagne, dès lors que l’on n’affiche pas de comportement ostentatoire, on tolère complètement la richesse. On a même compris qu’elle était nécessaire. En France, ce n’est pas le cas, il faut en permanence s’excuser d’être riche.

JOL Press : « Je n’aime pas les riches, j’en conviens ! » déclarait François Hollande, il y a quelques années. Ce sentiment est-il partagé par les Français ?
 

Guillaume Evin : Il faut se souvenir de la formule du président Paul Doumer qui disait, sous la IIIe République : « Il vaut mieux mériter qu’hériter ». Cette phrase montre qu’il existe une gradation dans la qualité du patrimoine et que le patrimoine que vous vous êtes constitué en travaillant à la sueur de votre front serait plus légitime, plus acceptable que celui issu de la rente ou de l’héritage.

Le contexte actuel est délicat, on confond revenu et patrimoine. D’un côté, vous pouvez avoir 10 000 euros de revenu et pas de patrimoine, d’un autre côté vous pouvez avoir très peu de revenu et, grâce à un héritage, être à la tête d’un grand patrimoine. On dira pourtant que l’un est riche et l’autre pas. Les frontières sont brouillées, on a trop tendance à confondre salaire et revenu, quel que soit la source.

JOL Press : La ministre Cécile Duflot, outre une maison individuelle dans les Landes et des économies d’un peu plus de 100 000 euros, a déclaré sa Twingo et une 4L. Ne risque-t-on pas de tomber dans un discours démagogique de la part des élus ?
 

Guillaume Evin : Là ça devient pathétique. En fait, François Hollande est en train de commettre la même erreur que Nicolas Sarkozy : nous sommes dans une séquence émotion avec l’affaire Cahuzac, et aussitôt on réagit sans prendre le temps de la concertation. François Hollande dégaine une politique de moralisation qui ne rime pas à grand-chose et donne une impression de « tous pourris ». 

[image:2,s]On a un individu corrompu qui doit être durement sanctionné, pour autant ça ne rime à rien de jeter l’opprobre sur tous les autres et de se livre à ce « striptease patrimonial ».

Qui veut savoir qu’Aurélie Filippetti possède un maillot de Beckham, Christian Bourquin un « âne catalan » et Cécile Duflot une 4L pourrie ?

Lorsque les élus commencent à se livrer à ce type d’inventaire, soit on va les suspecter d’en dissimuler une partie, parce qu’on va considérer qu’ils ne sont pas assez riches, soit ils vont tout déclarer et on va être écœuré parce que ça va alimenter la caisse de résonnance d’un « trop riches pour être tout à fait honnête ». 

On nous dit qu’il faudrait supprimer la compatibilité de certaines professions avec le mandat de parlementaire mais là aussi c’est ambiguë : se dirige-t-on vers un Parlement composé uniquement de fonctionnaires ?

Non, dès lors qu’un élu a une morale intraitable, qu’il ne cherche pas à s’enrichir pendant son mandat – il est là l’objectif – qu’il sert son pays plutôt que lui-même, nous n’avons pas besoin de nous livrer à ce grand déballage.

JOL Press : Pauvre ou riche, qu’est-ce que cela change dans l’exercice du pouvoir ?
 

Guillaume Evin : Prenons l’exemple de Léon Blum. Issu d’une grande famille de la bourgeoisie française des années 30, il se fait le chantre des classes populaires, a tenu un discours humaniste et s’est fait aduler par une grande partie du peuple de gauche – la question de l’antisémitisme mise à part. La richesse ne devrait pas empiéter sur la légitimité ou non d’un élu.

JOL Press : La gauche n’aurait-elle pas intérêt à assumer cette conception ?
 

Guillaume Evin : Bien sûr, mais une telle démarche forcerait la gauche à faire son aggiornamento en déclarant qu’on peut être riche et de gauche. Or les socialistes ont toujours cet embarassement, cette gêne vis-à-vis du marché et de l’enrichissement. Le peuple français est le peuple le plus égalitaire, tant qu’il gagne 100 euros de plus que son voisin.

Pour bien comprendre cela il faut remonter à la Révolution française : sous Robespierre, des trois piliers de la République – liberté, égalité, fraternité – l’égalité devient la valeur dominante. Dès lors la France est devenue une société égalitariste dans l’âme. Avoir plus que son voisin devient suspect. C’est de cette ambiguïté dont on ne sort pas.

Propos recueillis par Marine Tertrais

Guillaume Evin, 40 ans, journaliste indépendant, a publié plusieurs ouvrages, dont Profession stagiaire (Ramsay, 2006) et Le Livre noir du CSA (Editions du Moment, 2011).

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