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Ayons des pensées riantes dans ce contexte de crise…

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Par temps de crise, d’austérité, de contribution fiscale exceptionnelle, les habitudes des Français changent. Nécessité matérielle et appauvrissement plus ou moins partagé, beaucoup se déclarent en faveur d’un mode de vie plus frugal : ils s’intéressent à l’écologie, pratiquent la course à pieds nus (Barefoot), s’entichent superstitieusement de bio, de light et de 0%. Ou se prennent de passion pour le végétal, au jardin ou dans les potagers.

Pour Ronan Chastellier, la crise économique pourrait bien préluder à une forme d’éveil spirituel, un chemin vers la vérité. Mais voilà, les choix les plus vertueux ne sont pas à l’abri du marketing. Le marketing qui parfois rencontre l’esprit du temps mais, à d’autres moments, bute sur le facteur « stupide », jusqu’au ridicule. Entre théorie sociologique et satire sociale, ce livre est une lecture drolatique des tendances de la crise. C’est aussi un avertissement ironique et décomplexé aux chantres de l’austérité. Tous en slips, peut-être, mais pas en fourrure, le slip !

Extraits de Tous en slip ! Essai sur la frugalité contemporaine et le retour aux valeurs simples, de Romain Chastellier (Editions du Moment)

« Tous en slip ! » Ayons cette pensée riante dans le contexte anti-comique de la réduction des déficits, de la faible croissance annoncée et de la hausse généralisée des impôts. « Comme tout bouffon, je plaisante pour chasser les blessures de mon cœur » écrivait William Shakespeare quand, affamé par une triste conjoncture, il poussait la porte des théâtres à Stratford. Lorsque les mauvaises nouvelles affluent, qu’elles s’assemblent telles des cormorans dans le crachin breton, il est nécessaire de pratiquer un peu de cette salutaire distanciation avant de prendre définitivement en grippe les banques, l’économie, les hommes politiques.

« Tous en slip ! » c’est l’effort dialectique total, une spectaculaire remise en question quand la plupart des gens aspirent à suivre des pistes bien balisées. Un point de vue qui semble d’ailleurs partagé par le philosophe Michel Meyer quand, dans son livre De la Problématologie[1], il affirme : « l’idéal de la réponse, c’est d’évacuer la question, faire l’économie du questionnement. Il faut se livrer à un questionnement radical ! »

« Tous en slip ! » c’est l’idée de vouloir enlever toute distance théorique, pratiquer une réduction de complexité, revenir à des valeurs simples. Car la vie non naturelle, l’enlisement dans l’artifice, l’excès ou les dissipations futiles seraient à l’origine de la dévastation de nos sens et de nos perceptions. Pour le dire de manière grandiloquente, de la perte du sentiment du monde. Dans la modernité, les industriels seraient largement responsables de cela. Car l’homme n’est pas à l’abri du marketing. Parfois des produits, pop, utiles, amusants ou stimulants, rencontrent l’esprit du temps. À d’autres moments, on bute sur le facteur « stupide », les publicitaires élevant les produits à de fausses hauteurs, et il finit par y avoir un côté douteux et ridicule.

Un symptôme de la modernité est en effet dans ces liens subtils mais tenaces qui existent entre l’intelligence et l’absurdité, la vertu et le vice. Dont les produits, les idées, mais aussi l’économie ou la politique semblent être les dépositaires. Tout peut donc être englobé par un rire total, cosmique : « Tous en slip ! » Aujourd’hui, le bonheur en slip est même en passe de devenir un concept macroéconomique, illustration de ce dosage recherché entre la croissance économique et le contrôle budgétaire, un paradoxe dans les termes. Les économistes ne nous expliquent-ils pas au fond, à travers ce concept substantiellement nouveau de « croissance frugale », que le bonheur sera dorénavant en slip ?

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Ronan Chastelfier est sociologue, maître de conférences à l’institut d’études politiques de Paris. Président de « Tendanco », il donne aussi des conférences « assez rock » en France et à l’étranger. 

Tous en slip ! Essai sur la frugalité contemporaine et le retour aux valeurs simplesEditions du Moment (28 mars 2013)

[1] M. Meyer, De la Problématologie, Puf, coll. « Quadrige », 2008
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