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Comment Florange est devenu le boulet de François Hollande

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« Je viens devant vous prendre des engagements. Je ne veux pas me retrouver un jour sur une promesse et ensuite ne pas revenir parce qu’elle n’aurait pas été tenue », déclarait le futur président de la République le 24 février 2012. Or après 20 mois de lutte sociale, mercredi 24 avril 2013, a débuté la procédure d’extinction définitive des hauts-fourneaux du site d’ArcelorMittal à Florange.

Retour sur ces événements avec Elsa Freyssenet, co-auteure avec Valérie Astruc, de Florange, la tragédie de la gauche (Plon). Entretien.

JOL Press : Dans quel état d’esprit se trouvent les métallos à l’heure de l’arrêt définitive des hauts fourneaux de Florange ?
 

Elsa Freyssenet : Cette nouvelle était prévue et annoncée de fait par l’accord signé entre l’Etat et ArcelorMittal. Ce n’est pas une surprise. Tout le monde s’y attendait, y compris les métallurgistes sur place. Pour les syndicalistes, notamment Edouard Martin, le leader CFDT des salariés du site, après presque deux ans d’arrêt, les hauts-fourneaux étaient quasiment morts. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne regrettent pas que les hauts-fourneaux n’aient pas pu être redémarrés et sauvegardés par l’accord.

Par ailleurs ces deux hauts-fourneaux étaient les deux derniers de Lorraine, qui est le berceau de la sidérurgie, et les métallos sont très attachés à leur métier et à leur savoir-faire, c’est ce qui explique l’incroyable combativité dont ils ont fait preuve depuis deux ans et la dimension emblématique qu’a pris le dossier Florange.

JOL Press : A partir de quand vous êtes-vous intéressées à ce dossier et pour quelle raison ?
 

Elsa Freyssenet : Ce dossier m’a intéressé d’une part parce que Nicolas Sarkozy avait fait des promesses qu’il n’avait pas pu tenir à Gandrange et qu’ensuite François Hollande était monté sur une camionnette à Florange pendant sa campagne. Très vite, nous nous sommes dit, Valérie Astruc et moi-même, que ce serait un dossier emblématique. Cependant nous avons commencé à enquêter au moment où Arnaud Montebourg a commencé à parler d’une nationalisation temporaire.

Toutes les deux avons suivi le dossier pour nos médias respectifs, France 2 pour Valérie Astruc  et Les Echos pour moi, et il nous a passionné, à la fois pour la dimension humaine du combat des ouvriers sur place, pour la dimension politique parce qu’on voyait s’entrechoquer deux conceptions de la gauche et de l’Etat et enfin pour sa dimension industrielle, vu la part symbolique de la sidérurgie dans l’histoire industrielle française.

JOL Press : Les métallos ont le sentiment d’avoir été trahi. Comment l’expliquez-vous ?
 

Elsa Freyssenet : Pendant sa campagne présidentielle, François Hollande a essayé d’être prudent mais il avait promis une chose, c’était de faire voter une loi sur la reprise des sites rentables, loi qui est annoncée mais toujours pas connue. Ensuite il avait laissé entendre une deuxième chose, sans le promettre formellement, c’est qu’il se battrait pour que les hauts-fourneaux redémarrent.

[image:2,s]François Hollande a effectivement cherché une voie pour que les hauts-fourneaux puissent être sauvegardés, sauf que très vite, il s’est rendu compte que le site de Florange intéressait des industriels mais pas les hauts-fourneaux tous seuls.

C’est à ce moment-là qu’Arnaud Montebourg a lancé l’idée d’une nationalisation temporaire. Mais au fond cette idée ne correspond pas à la culture politique de François Hollande. Si certains de ses conseillers disaient que cette nationalisation enverrait un mauvais signal auprès des investisseurs internationaux, lui, avait surtout peur que l’Etat, devenu actionnaire de cette usine, n’arrive pas à la faire fonctionner, que le repreneur n’y arrive pas, et qu’un jour l’Etat soit obligé non seulement d’arrêter les hauts-fourneaux mais aussi de licencier. Quand il a senti, lors de son rendez-vous avec Lakshmi Mittal, que ce dernier était prêt à investir un peu plus que ce qui était annoncé au départ, il a privilégié la voie de l’accord.

Tout ceci aurait pu être une simple déception pour les ouvriers, parce que l’accord prévoit que les employés d’ArcelorMittal soient tous recasés sur place – les sous-traitants c’est une autre affaire – le problème vient de la manière dont s’est déroulée la négociation : tout s’est passé dans le secret, sans associer ni les syndicats, ni les élus locaux. Sans compter que pendant la négociation, Arnaud Montebourg continuait à plaider pour une nationalisation temporaire. Cette mise à l’écart a augmenté la déception des ouvriers et comme les choses sont restées cachées pendant quelques jours – notamment l’extinction des hauts-fourneaux – tout cela a créé un sentiment de trahison.

JOL Press : Comment expliquez-vous que ce dossier ait pris tant d’importance et ait semé le trouble au sommet de l’Etat ?
 

Elsa Freyssenet : Ce dossier a pris beaucoup d’importance parce qu’il est emblématique et que François Hollande y jouait une partie de son image. Il a aussi suscité l’affrontement de deux lignes au sein du gouvernement – celles d’Arnaud Montebourg pour la nationalisation et celle de Jean-Marc Ayrault contre la nationalisation – deux conceptions du rôle de l’Etat et de la façon dont il doit gérer ses relations avec les géants de l’économie.

François Hollande qui voulait faire pression sur Lakshmi Mittal n’a jamais n’a jamais stoppé Arnaud Montebourg, alors même qu’il ne voulait pas d’une nationalisation. Hérissé par la campagne publique de Montebourg, Jean-Marc Ayrault s’est vengé lors de l’annonce de l’accord avec ArcelorMittal : il l’a désavoué sur le fond et sur la forme. Et l’exécutif a frisé la crise gouvernementale. Dans cette histoire, la volonté du président de garder jusqu’au bout deux fers au feu et la haine que se vouent le Premier ministre et son ministre ont pesé très lourd.

JOL Press : Vous avez titré votre livre « Florange, la tragédie de la gauche ». Florange sera-t-il le symbole d’un échec de François Hollande pour sa première année de quinquennat ?
 

Elsa Freyssenet : Pour le moment c’est un boulet pour le Président et je suis convaincue que Florange sera un marqueur du quinquennat. Seulement la fin de l’histoire n’est pas écrite parce que François Hollande a conscience du ratage total qu’a été l’annonce de l’accord en décembre dernier. Le Chef de l’Etat a promis de retourner à Florange et il veut faire en sorte que l’avis des ouvriers, sur l’accord qui a été signé avec ArcelorMittal, change. C’est pour cela que je pense que l’histoire n’est pas finie.

JOL Press : Tout au long de votre enquête, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ou touché ?
 

Elsa Freyssenet : Ce qui m’a le plus touché, c’est l’attachement des ouvriers de Florange à l’outil de production et à leur métier. Ils ne se battent pas uniquement pour conserver un emploi, mais pour conserver un savoir-faire. D’autant que la plupart des sidérurgistes le sont de pères en fils. Cet attachement à ce métier leur a donné une incroyable combativité.

Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les hésitations des politiques sur la manière d’influer sur les enjeux industriels et économiques. C’est une antienne à gauche de dire que le politique doit dominer l’économie, car le politique est élu et les industriels ne le sont pas, mais le fait est que nos dirigeants trouvent de moins en moins le moyen de le faire et qu’ils ne s’accordent pas non plus sur l’opportunité de le faire.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Elsa Freyssenet est chef adjointe du service politique des Echos, chargée du suivi du gouvernement et de la majorité.

Florange, la tragédie de la gauchePlon (4 avril 2013)

Lire un extrait du livre : Florange, une trahison politique que les métallos n’oublieront pas

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