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Comptes à l’étranger, fraudes fiscales… comment gérer la rumeur?

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« Notre état d’esprit est le suivant : tout sauf la rumeur car il n’y a rien de pire dans une démocratie », a expliqué, le 9 avril, Jean-Louis Borloo lors d’un point presse à propos des motivations de son parti l’UDI. Mais comment lutter contre les rumeurs, dans un contexte de plus en plus délétère ? Eléments de réponse avec Laurent Gaildraud, auteur de Orchestrer la rumeur. Rival, concurrent, ennemi… comment s’en débarrasser (Eyrolles).

JOL Press : Libération a publié des rumeurs au sujet d’un compte présumé que posséderait Laurent Fabius. Comment fonctionne la rumeur ?
 

Laurent Gaildraud : Un article sur quatre ou sur cinq dans la presse est basé sur des rumeurs. Cela ne veut pas dire que c’est vrai ou faux, mais ce sont des articles qui ont une structure rumorale, souvent au conditionnel. Dans le cas précis, Laurent Fabius est issu d’une famille très riche, des juifs négociants d’art, une famille qui alimente parfaitement ce genre de rumeurs. Alors on ne dit pas les choses, on saupoudre et on laisse filer la rumeur.

[image:2,s]Le drame, avec la rumeur, c’est qu’elle n’est pas toujours fausse, ce qui laisse planer le doute. C’est comme ça que les rumeurs fonctionnent. La rumeur peut aussi vous apprendre la vérité. C’est en cela ça qu’elle dérange. Dans les faits, près d’un tiers des rumeurs sont fondées.

Mais que la rumeur soit vraie ou fausse n’a que très peu d’importance en soit parce que tout le monde y croit. Quand on vous dit qu’on a retrouvé des matières fécales dans des aliments Ikea, que cela soit vrai ou faux n’a aucune importance. Si tout le monde le croit, ça devient vrai. Elle est là toute la beauté de la rumeur.

Pour bien lancer une rumeur, il faut faire appel à des sentiments premiers, comme le rire, la peur, la colère ou le dégoût. Dès qu’une rumeur déclenche ces sentiments premiers, votre capacité à réfléchir et à analyser disparait. C’est alors qu’elle devient efficace.

Dans les deux tiers des cas, l’origine des rumeurs vient de la haine, dans 25% des cas, la rumeur vient de la peur. Entre la haine et la peur, vous êtes à plus de 90% des rumeurs. Pour ce qui est de l’article de Libération, Nicolas Demorand doit avoir ses raisons, il a certainement eu envie de se faire mousser, de vendre du papier.

JOL Press : Vous ne faites pas de véritable différence entre l’information et la rumeur en fait.
 

Laurent Gaildraud : Se sont deux notions extrêmement proches. Je ne fais en effet quasiment aucune différence entre les deux. L’unique différence, c’est que la rumeur est officieuse. A partir du moment où elle est reconnue par le système, elle perd son statut de rumeur pour devenir une information.

JOL Press : Un journaliste considère qu’une information doit être vérifiée et recoupée avant d’être publiée…
 

Laurent Gaildraud : Ce que vous dites serait certainement à écrire sur un fronton d’école de journalisme, je suis d’accord mais la réalité est tout autre.

JOL Press : Quel est l’impact d’une rumeur sur l’opinion ?
 

Laurent Gaildraud : Laurent Fabius a été mêlé à l’affaire du sang contaminé, il y a quelques années, qui s’en souvient ? Une rumeur a une espérance de vie d’environ un mois. Dans la somme d’information qu’elle reçoit chaque jour, l’opinion a la mémoire forcément courte. Mais pour la prochaine rumeur la précédente peut servir de point d’ancrage de manière à ce que la personne qui lise cette seconde rumeur se dise : « Oui, je l’ai toujours su ».

Ce qu’il y a de particulier avec la rumeur politique, c’est que, dans l’inconscient collectif, le politicien est soit un « pourri », soit un incompétent. Il aura du mal à gagner contre la rumeur dans tous les cas.

JOL Press : Comment communique-t-on face à la rumeur ?

Laurent Gaildraud : Quand on est touché par la rumeur, il ne faut pas faire communiquer l’individu touché par la rumeur. La première chose possible à faire, c’est ne rien faire. Une rumeur est organique, elle finit toujours par mourir. Si au bout de 15 jours, elle est toujours présente dans les esprits, ne faites plus rien, ne communiquez plus, elle mourra d’elle-même. Toute communication après 15 jours ne fait que l’entretenir. Si démenti il doit y avoir, il doit venir d’une autorité du sujet.

Vous pouvez aussi ridiculiser la rumeur. Alors que des rumeurs couraient sur le fait que François Mitterrand avait un cancer, un journaliste lui demande s’il est malade et le Président de répondre : « Oui, oui, il m’arrive d’éternuer ». C’est très intelligent. On peut aussi avouer quelque chose, parce que, dans le regard de Mme Michu, vous êtes coupable quand une rumeur circule. Mme Michu a envie d’entendre : « Je n’ai pas volé 1000 euros mais seulement 100 ». Si vous avouez quelque chose vous désamorcez la crise. Mais là encore, il faut que cela vienne d’une autorité.

Propos recueillis par Marine Tertrais

Laurent Gaildraud est consultant en entreprise. Expert en intelligence économique, il enseigne également les techniques d’orchestration de rumeurs dans de nombreux établissements supérieurs. Il est fondateur du trophée Sun-Tzu qui récompense chaque année la meilleure rumeur orchestrée dans le contexte d’une OPA hostile.

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