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Déclaration de patrimoine: pourquoi l’épargne des ministres est si basse

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Matignon a annoncé lundi que les déclarations de patrimoine du Premier ministre Jean-Marc Ayrault et des 37 ministres du gouvernement étaient désormais consultables sur Internet. Parmi les ministres les plus riches du gouvernement, Laurent Fabius. Le ministre des Affaires étrangères, dont la déclaration était très attendue, a en effet déclaré un patrimoine total net (passif déduit) de 6,07 millions d’euros. Décryptage de ces déclarations avec Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des Épargnants.

JOL Press : Que pensez-vous de ces déclarations ?
 

Philippe Crevel : Je ne suis pas surpris sur les montants, on n’a pas eu de révélations. Sur la répartition, je trouve que nos ministres sont très français, dans le sens où il y a très peu d’épargne financière investie en actions, c’est plutôt une épargne immobilière. Une épargne privilégiée par les Français, ils sont donc en phase avec le comportement patrimonial de la majorité de la population, même s’ils sont un peu plus aisés que la moyenne des Français.

JOL Press : Plusieurs millionnaires au gouvernement, c’est surprenant ?
 

Philippe Crevel : Les millionnaires le sont surtout par héritage. Les deux plus riches, Laurent Fabius et Michèle Delaunay, le sont par héritage et non par le fruit de leur travail. Par ailleurs ce patrimoine est en grande partie immobilier : un appartement à Paris, une maison en Ariège et une maison en Haute-Normandie pour le ministre des Affaires étrangères et deux immeubles à Bordeaux, un immeuble à Arcachon et un autre à Hossegor, pour la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie. Même les très riches sont très classiques.

JOL Press : Ces déclarations de patrimoine sont-elles crédibles au vu de l’âge et des carrières des ministres ?
 

Philippe Crevel : C’est globalement crédible. La plupart d’entre eux ont été élus relativement jeunes à des fonctions de députés, de sénateurs, donc avec des revenus supérieurs à la moyenne nationale (entre 4000 et 5000 euros quand le salaire moyen d’un Français est autour de 2000 euros), de ce fait, ils ont un patrimoine qui se situe dans la catégorie des revenus supérieurs français. Ce n’est pas anormal même si on peut se demander s’ils ne sont pas un peu en deçà de ce à quoi on pourrait s’attendre.

JOL Press : Peut-on imaginer que certains ministres se soient servis du compte de leur conjoint pour dissimuler quelques biens ?
 

Philippe Crevel : Celui qui triche en ce moment prend le grand risque de se faire prendre, donc je pense qu’ils ont dû faire attention à ne pas trop occulter ou transférer une partie de leur patrimoine chez des conjoints. Si ça se voit, ça risque de faire mal.

JOL Press : Les épargnes ne sont-elles pas relativement basses ?

Philippe Crevel : Les ministres sont, en effet, assez sous-dotés en assurance-vie, par rapport à la moyenne nationale et par rapport à leur niveau de revenu. Les hommes politiques ont peu de comptes titres actions, en règle de générale, mais il vrai que leur détention d’assurance vie est quand même très faible pour la plupart d’entre eux. On peut y voir une volonté de gestion sans risque et une méfiance extrêmement forte vis-à-vis de ce qui est financier.

JOL Press : Croyez-vous que cela soit lié à leur appartenance politique à gauche ou est-ce une mentalité plutôt française ?
 

Philippe Crevel : Je pense que c’est avant tout une mentalité française. Un rapport montrait que les ministres du gouvernement Fillon étaient eux aussi peu portés sur les marchés financiers.

JOL Press : Un ministre endetté, ça peut poser problème ?
 

Philippe Crevel : L’endettement n’est pas un vice, je crois même que François Hollande lui-même est endetté. S’endetter pour acquérir un bien immobilier fait partie des comportements normaux. Un problème peut apparaître si l’endettement est fait en dehors des circuits financiers classiques, c’était le cas, dans le passé, de Pierre Bérégovoy auprès d’un particulier, cette affaire avait provoqué un scandale à l’époque.

JOL Press : Etes-vous surpris par les prêts à la consommation de Jean-Marc Ayrault, deux prêts de plus de 2000 euros, contractés en 2009 ?
 

Philippe Crevel : Par rapport à la moyenne européenne, les Français sont moins portés sur les prêts à la consommation en règle générale. Par ailleurs, il en vrai que, compte tenu du montant de ses revenus et de son patrimoine, c’est étonnant que le Premier ministre ait souscrit à des prêts à la consommation. Ce n’est pas très logique ni le symbole d’une bonne gestion de son argent.

JOL Press : Sur le fond, que pensez-vous de la publication de ces déclarations ?
 

Philippe Crevel : Tout d’abord, je trouve que c’est un peu ridicule d’en arriver à déclarer qu’on possède trois vélos. Ça n’apporte pas grand-chose. En revanche, j’aimerais davantage que les déclarations sur le revenu et sur l’ISF soient rendues publiques, ce serait officiel et communicable chaque année. On pourrait ainsi aller vers une transparence plus grande.

En France, on est fâché avec la réussite personnelle et on s’applique le « vivons heureux, vivons caché ». En rendant publiques les déclarations de revenus, il y aurait certainement une banalisation, les Français seraient certainement plus décomplexés à ce niveau-là. On pourrait alors se dire qu’un bon gestionnaire serait d’abord un bon gestionnaire de son propre patrimoine, qu’un élu qui sait gérer son argent est peut-être un élu plus indépendant. 

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques, des questions relatives à l’épargne et à la retraite. Il a publié, en février 2009, un guide sur la retraite chez Solar.

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