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Enrico Letta: de la difficulté de former un gouvernement en Italie

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JOL Press : Enrico Letta est assez peu connu en dehors d’Italie : sa nomination est-elle une surprise ?

Hervé Rayner : Je crois d’abord qu’il faut nuancer : Enrico Letta est tout de même très inséré dans certains réseaux extérieurs à l’Italie, des réseaux qu’il a notamment en commun avec Mario Monti. Il a grandi politiquement au sein de l’internationale démocrate-chrétienne, et il est reconnu sur la scène européenne. Et puis, il dispose aussi de nombreuses relations grâce à sa famille, et notamment à son oncle.

Quant à savoir si c’est une surprise, oui et non. Depuis un an, on assiste à une déstructuration et à une désorientation du jeu politique. Les acteurs ont du mal à construire une stratégie sur de longues durées.

Il y a 3 jours, trois noms ressortaient régulièrement : le sien, celui de Giuliano Amato, qui avait l’aval du camp berlusconien, et Matteo Renzi, le maire de Florence. Berlusconi avait mis un veto sur Renzi, donc il ne restait plus que deux noms. Choisir Amato, qui est né en 1938, avec un Napolitano qui a 87 ans, cela aurait contribué à alimenter la critique de ceux qui s’opposent aux conservateurs et qui dénonce une certaine gérontocratie italienne.

JOL Press : Quel genre d’homme politique est-il ?

Hervé Rayner : C’est quelqu’un dont la culture est celle de la démocratie chrétienne, mais s’il s’agit de son aile gauche. C’est aussi une personne prudente, il ne veut pas s’aventurer dans un gouvernement qui ne durerait pas trois mois. Lui-même a dit qu’il ne se sentait pas vraiment à la hauteur de l’enjeu, et que la constitution d’un gouvernement ne se ferait pas à n’importe quel prix.

C’est un centriste, fondamentalement convaincu de la centralité du Parlement, même s’il a un réel désir de transformer le bicamérisme.

JOL Press : Qui sont ses parrains en politique ?

Hervé Rayner : Le premier, c’est bien sûr Romano Prodi. Et le second est beaucoup moins connu en France, il s’agit de Beniamino Andreatta [décédé en 2007, ndlr]. Le point commun entre ces deux hommes : ce sont des universitaires, plus précisément en sciences humaines et sociales, proches de l’économie. Cela en dit long sur la personnalité d’Enrico Letta, son univers est celui des universitaires, des « technocrates ».

JOL Press : Selon vous, son oncle Gianni Letta, proche conseiller et homme de confiance de Silvio Berlusconi, a-t-il joué un rôle dans cette nomination ?

Hervé Rayner : Il vole quand même de ses propres ailes. Ceci dit, il se peut que Giorgio Napolitano espère que ce lien soit utile à terme, qu’il puisse amadouer Berlusconi. Il faut rappeler qu’à l’été 2011, Gianni Letta était le candidat favori de Berlusconi pour la présidence de l’Italie.

Il reste à observer deux indicateurs à propos de ce lien : d’abord, il faut voir si Berlusconi sera dans l’exécutif, ce qui lui permettrait de ne pas se rendre aux convocations des juges, selon une loi qu’il a lui-même passée. Et deuxièmement, il faut voir qui prendra le ministère de la Justice, pour les mêmes raisons. Certaines rumeurs annoncent la reconduite de la ministre de Mario Monti, car elle avait été très clémente sur sa loi anti-corruption. C’est donc une connexion à double tranchant : ce lien avec Berlusconi est très surveillé et fortement dénoncé par les adversaires d’Enrico Letta, et notamment par Beppe Grillo. Même si on peut dire que le lien de parenté est moins fort que les clivages politiques.

JOL Pess : Avec qui pourrait-il gouverner ?

Hervé Rayner : Il reste encore certaines incertitudes. La Ligue du Nord avait affirmé qu’elle resterait dans l’opposition, puis ils avaient changé d’avis, puis à nouveau rejoint l’opposition… En réalité, Enrico Letta pourra gouverner avec trois partis : le Parti démocrate, mais qui est très divisé et risque d’éclater d’ici quelques jours ; le Parti de la Liberté, sans la Ligue, et les centristes de Monti, mais qui ne sont pas très nombreux. Les principales difficultés viendront certainement de Berlusconi. Par exemple, ses relations avec Bruxelles dépendront du nombre de ministres berlusconiens dans son gouvernement.

JOL Press : Quelles sont ses chances de réussite ? S’agit-il d’une mission impossible ?

Hervé Rayner : En tout cas c’est une mission très difficile. Il y a un grondement qui monte contre les mesures d’austérité, dévastatrices pour le pays. L’urgence, c’est la situation socio-économique, tous les indicateurs sont dans le rouge, on a encore annoncé une baisse de 5 % de la consommation.

Giorgio Napolitano pourrait maintenant dissoudre l’Assemblée, mais cela ne ferait que reporter le problême et les blocages au Sénat. En réalité, Enrico Letta a un peu les mains liées.

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