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Être touriste en Corée du Nord

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La mystérieuse Corée du Nord est un pays bien peu prisé des touristes. Très fermée, la dictature nord-coréenne est également réticente à accueillir sur ses terres un visiteur étranger.

Pourtant, certains curieux franchissent quand même le pas et décident de visiter le pays le plus fermé du monde.

C’est le cas de Lukasz, 30 ans. Polonais, Lukasz vit en France puis l’âge de trois ans. Passionné par l’histoire et la géopolitique, il aime également voyager afin de découvrir ces pays dont la presse dresse souvent un tableau sombre et sur lesquels il aime se faire sa propre opinion.

La Corée du Nord, qu’il a visitée à trois reprises, n’est qu’un paragraphe de ses très nombreux voyages qui l’ont notamment conduit au Pakistan, en Iran ou au Yémen, tant de pays qui, derrière les guerres et les révolutions, sont riches d’une culture et du quotidien de populations auxquelles Lukasz a souhaité venir à la rencontre.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de visiter la Corée du Nord ?
 

Je suis né en Pologne en 1982, sous le régime communiste. Ce type de régime m’a toujours intrigué de par l’histoire et les anecdotes que m’ont racontées les membres de ma famille.

Je ne suis absolument pas un fanatique de ce régime ni un nostalgique, mais je voulais absolument visiter ce pays extrême, le plus isolé du monde, voir la réalité du culte de la personnalité poussé à son paroxysme, entrevoir le quotidien de la population, et comme je le dis toujours : me faire ma propre opinion.

Pourquoi y êtes-vous retourné à deux reprises par la suite ?
 

En 2008, je me suis préparé un grand voyage de trois semaines en Asie, c’était l’occasion de faire un « saut » de quelques jours en Corée du Nord au départ de Pékin.

J’ai adoré ce premier séjour, et j’ai regretté de ne pas y être resté plus longtemps. Par ailleurs, je rêvais d’assister aux « Arirang Mass Games », un grand spectacle annuel à la gloire du régime qui réunit 100 000 participants chaque année et qui retrace les grands évènements de l’histoire de la Corée du Nord, dans un des plus grands stades du monde, le May Day Stadium de Pyongyang. J’y suis donc retourné fin septembre 2010 et ai pu visiter de nombreuses grandes villes à cette occasion, qu’il s’agisse de Hamhung, Wonsan, Haeju, Nampo ou encore Sariwo. Autant de lieux qui suivent un parcours tracé d’avance pour les étrangers.

Le pays du « Soleil de la Nation »

En avril 2012, je suis reparti une troisième fois, principalement pour assister aux commémoration du 100ème anniversaire de la naissance de celui qu’on appelle le Président « Eternel »,  le « Soleil de la Nation », Kim Il-sung, grand-père de l’actuel président Kim Jong-un et fondateur de la dynastie régnante.

La Corée du Nord vous a-t-elle parue fabriquée autour du culte de la personnalité des leaders ? Comment l’avez-vous perçue ?
 

Le culte de la personnalité est présent partout au quotidien. Les Nord-Coréens vivent dans le souvenir de Kim Il-sung, de la lutte anti-japonaise, et de leur « victoire » face aux Américains lors de la guerre de Corée.

A partir de l’âge de 15 ans, chaque personne porte un badge à l’effigie de Kim Il-sung. Les portraits de Kim Jong-il et de Kim Il-sung sont affichés sur tous les bâtiments publics, présents dans tous les appartements, dans le métro, les bus, les centre commerciaux et les parcs d’attractions. D’immenses stèles sont installées partout dans les villes tout comme les statues de Kim Il-sung qui sont illuminées toute la nuit. Dans les musées ou les établissements publics comme les fermes, les écoles, les usines une petite plaque est systématiquement installée pour indiquer le nombre de visite des différents présidents de la dynastie. Sur ces plaques, on peut lire « Kim Il-sung est venu tant de fois » et « il a résolu les problèmes ». A chaque concert, des chants à la gloire de Kim Il-sung ou de Kim Jong-il sont systématiquement entonnés.

Pyongyang vibre au rythme des chants à la gloire des dirigeants

Même spectacle avec les écoliers qui défilent dans les rues et chantent des chants à la gloire des dirigeants. Dans les champs ou sur les chantiers, des camionnettes avec d’énormes mégaphones diffusent des chants et relatent les exploits des héros de la nation, pour leur donner du courage.

En tant que touriste l’ampleur du phénomène surprend et devient parfois étouffante.

Etre touriste en Corée du Nord, comment est-ce ?
 

Même s’il ne voyage pas en groupe, un touriste en Corée du Nord est systématiquement accompagné par deux guides et un chauffeur. Ces guides sont chargés de suivre un parcours précis et il est difficile de le modifier, sauf arrangement avec eux.

Lors de mon troisième séjour mes accompagnateurs, voyant que je connaissais bien le pays, ont finalement accepté de me laisser seul afin de visiter la ville. J’ai donc eu la chance de parcourir Pyongyang de jour comme de nuit, en quasi-autonomie.

J’ai pleinement conscience que c’est une chose vraiment exceptionnelle pour un touriste. Même les expatriés, qui peuvent également circuler librement dans Pyongyang, sont systématiquement accompagnés lorsqu’ils sortent de la capitale.

Qu’en est-il du contact avec la population ?
 

Ce contact est très limité. Le Nord-Coréen qu’on croise dans la rue ne parle aucune langue étrangère. Seuls mes guides parlaient le français et l’anglais à la perfection, sans jamais être sortis de Corée du Nord.

Lorsque ceux-ci sentent qu’ils peuvent vous faire confiance, ils s’ouvrent davantage à vous et parlent alors de leur quotidien.

Il est donc très difficile d’avoir un réel contact avec cette population sans la présence des guides.

Comment avez-vous perçu l’absence de liberté d’expression ?
 

D’abord dans le contact de la population avec les dirigeants. Il est absolument impossible de les critiquer. Il y a une chaîne de télévision, parfois deux, le journal du Parti. Pas d’accès aux médias ni à la presse étrangère, hormis les élites de Pyongyang.

Le Nord-Coréen « moyen » ne sait pas comment on vit à l’étranger, en Occident et boit la propagande du Parti. Il faut s’imaginer que ces gens ont des parents, des grands-parents et des enfants qui n’ont connu que ce régime et qui ont été élevés par la propagande du Parti et la glorification des exploits du président Kim Il-sung et la bonté du dirigeant Kim Jong-il. Par ailleurs, la priorité d’un Nord-Coréen reste de survivre, c’est ce que j’ai ressenti – il n’a pas le temps de se préoccuper d’autre chose, de critiquer les dernières décisions du Parti.

Il m’est arrivé d’aborder le sujet de la famine des années 90 avec un de mes accompagnateurs qui avait eu le privilège d’étudier en Chine donc de savoir comment on vivait ailleurs.

Rester en Corée ou être un lâche

Alors qu’il évoquait les millions de morts et les Nord-Coréens qui étaient réduits à manger des racines et des écorces, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas essayé de quitter le pays à cette époque. J’étais très surpris par sa réponse : « Tous ceux qui quittent la Corée du Nord sont des traites, des lâches ! » 

Je lui ai alors demandé de m’expliquer comment il était possible de survivre au nord-est du pays, lorsqu’il fait -30°, qu’il n’y a ni chauffage ni nourriture. C’est alors qu’il m’a répondu : « Si on le voulait vraiment, on pouvait toujours trouver un moyen pour survivre ».

Au bout de trois séjours, je suis convaincu d’une chose : il y a un réel respect de Kim Il-sung et de Kim Jong-il. La population critique surtout les cadres du Parti (« qui mentent à la population ») ou encore les « voleurs d’Etat », c’est-à-dire la corruption.

Comment avez-vous ressenti la pauvreté de la population ?
 

Il y a deux Corées du Nord : celle de Pyongyang  et celle de la province. Pyongyang est la ville où résident les élites nord-coréennes et c’est un privilège d’y habiter.

Entre 2008 et 2012, j’ai vu le pays évoluer. 2008 : pas de lumière le soir à Pyongyang, nous sommes dans le noir le plus complet. 2010-2012 : Pyongyang est illuminée, appareil photos numériques (même dans les campagnes), téléphones portables, habits occidentaux, embouteillages, de plus en plus de voitures privées dans les rues (munies d’une plaque d’immatriculation jaunes) fait extrêmement rare en 2008.

Pyongyang est aussi la ville des loisirs (théâtres, parcs d’attractions modernes, cinémas, centre commerciaux, etc.) et les gens aiment faire la fête.

L’élite nord-coréenne se retrouve à Pyongyang

Malgré les difficultés, il y a aussi une vie « normale » en Corée du Nord. Les familles se promènent dans les parcs, pique-niquent, s’amusent. Quand on voyage à travers le pays, il y a des centres de vacances pour les élites, des colonies pour les enfants ; comme dans l’ancienne Europe de l’Est.

La vie quotidienne reste néanmoins difficile pour la majorité de la population de Pyongyang : tickets de rationnement, coupures d’électricité, la population fabrique souvent son propre système de chauffage au charbon et l’eau est difficilement acheminée vers les étages les plus hauts.

Les salaires sont très faibles, lorsqu’ils sont versés, et aux dires de mes accompagnateurs, un Nord-Coréen citadin doit avoir deux emplois : son travail « officiel » et un « autre travail » au marché noir. L’épouse d’une des personnes que j’ai rencontrée était couturière : elle « récupérait » du tissu dans son entreprise, le ramenait chez elle et confectionnait des robes qui étaient ensuite revendues.

Hors de Pyongyang, la vie est nettement différente. Routes vides, quasiment plus de transports en commun, des colonnes de gens qui marchent sur les routes, qui transportent des marchandises, défilent à vélo.

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Qu’avez-vous fait et vu sur place ?
 

Etape obligatoire : tous les lieux dédiés à la gloire de Kim Il-sung, du Parti, et de la lutte contre l’ennemi japonais, sud-coréen ou américain.

Les monuments de la colline du Mansuadae (qui abritent les immenses statues de bronze de Kim Il-sung, rejointes en 2012 par celle de Kim Jong Il), l’Arc de Triomphe, célébrant le retour triomphal de Kim Il-sung en Corée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Tour du Juche ; le Palais de Kumsusan (mausolée du Président Kim Il-sung et ancien palais présidentiel). Pour chacune de ces visites, le protocole est très strict, les locaux viennent de tout le pays et le visite avec des visages tristes et graves.

Dans le mausolée de Kim Il-sung, il est obligatoire de s’incliner devant une première statue. Le récit de sa mort est écouté par audiophone et décrit la tristesse de la population à l’annonce de la nouvelle. Une fois devant le cercueil de verre, il faut ensuite en faire le tour : le protocole veut que l’on s’incline devant ainsi que sur les côtés

Le spectacle le plus grandiose lors d’un voyage en Corée du Nord reste le spectacle Arirang : 100 000 participants réunis pour la gloire du régime.

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Chaque année, une exposition assez irréelle attire également des foules entières. Il s’agit de la KimJongilia, du nom d’une variété d’orchidée qui porte le nom du président Kim Il-sung.

Dans la capitale, de nombreux petits restaurants assez sympas proposent la spécialité locale : la soupe de chien. Je n’ai jamais trop su de quelle race de chien il s’agissait mais j’en mange à chaque fois, c’est succulent !

Faire un détour par la frontière avec la Corée du Sud (la DMZ), fait selon moi partie des étapes les plus impressionnantes surtout lorsque vous avez l’occasion de voir les deux armées se faire face.

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Que retenez-vous de vos voyages ?
 

Nous sommes dans la dictature la plus horrible qui puisse exister sur cette planète. Visiter la République populaire de Corée du Nord s’apparente à un voyage dans le temps, dans un vestige de la Guerre Froide. Nous sommes dans un pays qui peut paraitre irréel pour tout Occidental. C’est un pays que j’ai appris à aimer et je pense beaucoup à sa population. Malheureusement, ce n’est pas moi qui ai les moyens de le changer.

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