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Florange, une trahison politique que les métallos n’oublieront pas

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Florange, le candidat Hollande assure : « Je viens devant vous prendre des engagements (…). Je ne veux pas me retrouver dans la situation d’être élu un jour sur une promesse et ensuite de ne pas revenir parce qu’elle n’aurait pas été tenue. » Ce sera l’image forte de la campagne, le symbole du lien enfin renoué entre les ouvriers et le candidat socialiste.

Le 26 novembre, Arnaud Montebourg déclare en une des Echos : « Nous ne voulons plus de Mittal en France. » Le ministre du Redressement productif souhaite la nationalisation du site de Florange.

Le 5 décembre, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annonce un accord entre l’Etat français et ArcelorMittal.

A Florange, les métallos sont déboussolés et se sentent « trahis » : comment l’exécutif a pu passer en moins d’une semaine d’un projet de nationalisation de leur usine à un accord avec Lakshmi Mittal, signé par le Premier ministre et avalisé par le Président Hollande ? « Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans cette putain de semaine ? » questionne Edouard Martin, le leader CFDT de l’intersyndicale de Florange. C’est l’objet de ce livre que d’y répondre.

Valérie Astruc et Elsa Freyssenet ont rencontré François Hollande, Lakshmi Mittal, Jean-Marc Ayrault, Arnaud Montebourg, Edouard Martin et ceux qui les ont accompagnés dans cette histoire afin d’en dévoiler les secrets. Une histoire devenue une épreuve marquante du quinquennat Hollande et dont la fin n’est pas encore écrite.

Extraits de Florange, la tragédie de la gauche, de Valérie Astruc et Elsa Freyssenet (Plon)

Après le blocage du jeudi soir, la délégation d’Arcelor Mittal – Henri Blaffart et Hervé Bourrier – revient à la table des négociations le vendredi matin avec de bonnes nouvelles. C’est d’accord pour 180 millions minimum d’investissements inconditionnels. A partir de ce moment- là, les pourparlers vont bon train. Sécurisation, pendant cinq ans, de la filière emballage à Florange et Basse- Indre, mise aux normes européennes du site de Basse- Indre, maintien, pendant cinq ans, des hauts- fourneaux de Dunkerque et Fos- sur- Mer, engagement d’investir à nouveau 13 millions d’euros dans la recherche pour Ulcos.

Dans la journée, le secrétaire général de l’Elysée, Pierre- René Lemas, appelle Henri Blaffart : il veut la garantie que si Ulcos voit le jour, il se fera à Florange. Le vice- président de Flat Carbon Europe est réticent : il a, dit- il, des hauts- fourneaux plus adaptés en Allemagne. Mais finalement, il accepte d’envisager cette perspective dans l’accord. A 18 h 30, quand le directeur de cabinet d’Arnaud Montebourg, Stéphane Israël, et le conseiller industrie de François Hollande, Olivier Lluansi, quittent Matignon, les grandes lignes de l’accord sont acquises.

Si bien que le Premier ministre compte l’annoncer dans les journaux télévisés à 20 heures. Mais sans avertir personne. A l’Elysée, nul ne se doute que Jean- Marc Ayrault va prendre la parole, et pour cause, l’accord n’est pas totalement finalisé. Vers 19 h 30, la rumeur commence à circuler parmi les journalistes ; le service de presse de Matignon est interrogé et confirme : oui, Jean- Marc Ayrault va bientôt s’exprimer, dépêchez- vous ! Forts de cette information, l’on se tourne vers l’Elysée qui n’est visiblement pas au courant de l’intervention !

Branle- bas de combat au Château ! François Hollande et ses hommes savent certes que la conclusion de l’accord est imminente, le texte leur est parvenu. Mais Jean- Marc Ayrault ne s’est pas pressé pour avertir l’Elysée qu’il interviendrait publiquement le soir même. Oubli dû à la fébrilité du moment ou mauvaise manière calculée pour marquer le coup de n’avoir pas été associé aux discussions entre Arnaud Montebourg et François Hollande sur le projet de nationalisation ? En attendant, Pierre- René Lemas appelle Matignon : « Vous n’allez pas annoncer un accord s’il n’y a pas encore d’accord signé ! » Mais le coup est parti, les journalistes sont déjà en route pour la salle de presse où va s’exprimer Jean- Marc Ayrault.

Il faut donc à présent parer au plus pressé, vérifier dans le détail le contenu du texte engageant Arcelor Mittal avant l’allocution du Premier ministre. En urgence, François Hollande se fait livrer les parapheurs. « Il était comme une bombe », se souvient un de ses proches. Les va-et-vient du texte entre Matignon, l’Elysée et la direction ArcelorMittal vont prendre du temps, si bien que Jean- Marc Ayrault ratera les journaux de 20 heures et ne prendra la parole que vers 21 heures.

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Valérie Astruc est grand reporter à France 2 et correspondante à l’Elysée. Elsa Freyssenet est chef adjointe du service politique des Echos, chargée du suivi du gouvernement et de la majorité.

Florange, la tragédie de la gauche, Plon (4 avril 2013)

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