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Ils veulent quitter la Corée du Nord, une caméra les a suivis…

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JOL Press : Qu’est-ce qui vous a poussée à filmer les Nord-Coréens qui tentent de s’échapper de leur pays ?

Ann Shin : J’ai entamé les recherches pour mon documentaire « The Defector : Escape this North Korea », il y a plusieurs années, après avoir lu les récits atroces de transfuges nord-coréens. Leur désir radical de liberté reflète, d’une certaine manière, l’expérience de ma famille pendant la guerre de Corée (1950-53). Ma tante et mon oncle étaient socialistes et ont beaucoup souffert d’être des sympathisants de la Corée du Nord. Ils ont d’ailleurs fini par s’y enfuir. Mais là-bas, ils ont été considérés comme des traîtres et ont été contraints de fuir à nouveau vers le sud. Leurs biens ont été confisqués, ils ont été interrogés et torturés et mon oncle est mort.

JOL Press : Concrètement, comment avez-vous procédé ?

Ann Shin : J’ai commencé par rencontrer des transfuges nord-coréens au sein de ma propre communauté. J’ai appris à les connaître et, grâce à eux, j’ai appris qu’il existait un réseau mondial de personnes qui pouvait leur venir en aide : des travailleurs religieux, des ONG mais aussi les « passeurs ». J’ai rencontré ces organisations religieuses et les ONG, mais tous s’inquiétaient des dangers que comportait un tournage clandestin en Asie. C’est là que je suis entrée dans la deuxième phase de mon travail, en entrant en contact avec des passeurs.

Comme vous le savez, le tournage d’un documentaire est un acte de foi. Cette foi repose sur la confiance entre le cinéaste et ses sujets. Mais comment voulez-vous établir un lien de confiance avec des gens que vous n’avez jamais rencontrés? Je me suis donc entretenue longuement au téléphone avec plusieurs passeurs.

Après avoir bien réfléchi, j’ai décidé de joindre à un groupe de cinq- six transfuges. Le passeur surnommé Dragon – à cause de son tatouage – est celui qu’on voit dans le film. Au début, lorsque je l’ai rencontré en Chine, je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance… mais il était déjà trop tard : notre périlleux voyage avait déjà commencé.

JOL Press: Quel est le profil de ces Nord-Coréens qui tentent de quitter leur pays ?

Ann Shin : Dans notre groupe, tous les transfuges nord-coréens avaient la vingtaine. Un jeune homme et une femme avaient récemment servi dans l’armée nord-coréenne. Deux jeunes femmes avaient travaillé dans les mines en Corée du Nord. Une autre jeune femme avait quant à elle été vendue comme jeune mariée à un homme chinois. Elle vivait dans la clandestinité en Chine depuis plusieurs années. Parmi le groupe, trois personnes avaient déjà été torturées et emprisonnées pour de simples «crimes». Par exemple, Sook-ja a été emprisonné pour possession illégale de téléphone portable. Kyung-bok avait été arrêté alors qu’il tentait de franchir la frontière.

JOL Press : Quelles sont les principales raisons qui les poussent à s’enfuir?

Ann Shin: La Corée du Nord est l’un des pays les plus fermés au monde. La majorité de la population ignore ce qu’il se passe à l’extérieur. Les Nord-Coréens savent en revanche qu’ils peuvent s’approvisionner en nourriture et en médicaments en Chine

Pendant longtemps, mais surtout depuis les années 1990 – quand la famine était à son paroxysme en Corée du Nord – les gens passaient en Chine en quête de travail et dans le but de trouver de la nourriture et des médicaments avant de retourner dans leurs familles. Il faut savoir que les Nord-Coréens n’ont pas accès aux médicaments, même les plus basiques comme le Tylenol, sans parler des antibiotiques. A cette époque, la sécurité était laxiste à la frontière sino-nord-coréenne : les gardiens fermaient souvent les yeux en échange de pots de vin. Il était donc relativement facile pour les Nord-Coréens de quitter leur pays et de revenir avec des provisions.

Mais au cours de ces cinq dernières années, et surtout depuis Kim Jong-Un est arrivé au pouvoir, une vague de répression frappe les personnes qui traversent la frontière. 

JOL Press : Que risquent ceux qui s’échappent?

Ann Shin Les transfuges nord-coréens risquent leur propre vie mais également celles de leurs familles. Des peines sévères sont infligées aux déserteurs et à leurs familles, qui peuvent être interrogées et torturées. Malgré cette répression, les gens ont faim et sont tellement désespérés qu’ils tentent quand même de s’échapper. 

JOL Press : Pourquoi avoir choisi la forme du webdocumentaire. Est-ce selon vous une forme narrative qui laisse plus de liberté ?

Ann Shin : Tout en développant mon idée de documentaire, j’ai progressivement réalisé que personne ne comprenait les risques que comporte une tentative d’évasion. Je voulais créer un webdocumentaire qui puisse rendre compte de la situation à l’intérieur de la Corée du Nord. La plateforme interactive m’a semblée être la meilleure façon de plonger le spectateur dans une telle expérience. Vous ne pouvez pas tout faire dans un film, mais dans un docu interactif sur le Web, vous pouvez placer l’utilisateur dans la peau d’un transfuge pour qu’il voit, entende et vive ce périlleux voyage. C’est un moyen très puissant qui permet au gens d’imaginer l’angoisse des Nord-Coréens tentant de fuir le régime.

>> Découvrez l’intégralité du webdocumentaire sur le site de The Defector

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