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La lutte contre l’intégrisme religieux passe par l’éducation

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Ici, ils excluent les non-croyants de leur table. Là, ils interdisent aux femmes d’aller cheveux nus et aux hommes de leur adresser la parole. Ailleurs, ils rejettent la démocratie, l’école laïque, l’avortement, l’homosexualité, la liberté de penser… Ces positions que d’aucuns croiraient d’un autre âge sont, aujourd’hui en France, une réalité pour certains intégristes du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Entretien avec René Guitton, auteur de La France des intégristes, le refus de la République (Flammarion).

JOL Press : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la question des intégrismes religieux ?
 

René Guitton : Je travaille depuis de nombreuses années sur les religions et à force de travail j’ai noté qu’il existait une multitude d’intégrismes et que ces intégrismes se radicalisaient. Ces mouvements partent tous du principe qu’ils sont les tenants de la vérité.

JOL Press : Comment définit-on l’intégrisme religieux ?
 

René Guitton : Les intégristes peuvent se définir comme la frange extrême d’une religion, la plus attachée aux fondamentaux qui va jusqu’à se couper du reste de la société et des valeurs républicaines du « vivre-ensemble ». Les pratiquants deviennent excessifs à partir du moment où ils contraignent les leurs à se couper du reste de la société par la pratique la plus stricte des commandements religieux, quand ce ne sont pas des traditions ou des superstitions.

Je vous donne un exemple : dans le judaïsme en 1994, le grand Rabbin de France de l’époque avait ordonné à sa communauté de ne pas aller voter pour des raisons religieuses, car ce jour d’élection tombait le jour d’une fête religieuse qui interdisait aux pratiquants, selon lui, de porter sur soi un document imprimé et d’écrire. Les pratiquants ne pouvaient donc pas porter sur eux leur pièce d’identité, ni signer le registre, deux éléments indispensables au vote. Les exemples comme celui-ci se multiplient et on en trouve dans toutes les religions.

JOL Press : La laïcité est-elle suffisante face à la montée des intégrismes ?
 

René Guitton : On ne négocie pas avec la laïcité, on est laïc ou on ne l’est pas. Sans accommodement, la laïcité devrait être, en effet, sans devenir un terrorisme intellectuel ou un intégrisme, un moyen de s’opposer aux excès d’une part mais aussi de protéger les religions dans leur ensemble. En s’opposant aux intégrismes, la laïcité permet aux religions de s’exprimer.

JOL Press : Tous les intégrismes religieux se valent-ils ?
 

René Guitton : Au début de mon livre, je m’attarde sur le fait qu’il ne faut pas faire d’amalgames entre d’une part l’intégrisme et la religion qu’il dit représenter mais aussi entre les différents intégrismes qui sont porteurs de plus de dangerosité que d’autres. Certains ne font que couper leurs membres de la société – on trouve ces tendances chez les intégristes protestants ou les juifs ultra-orthodoxes.

D’autres, comme l’islamisme radical, sont non seulement prosélytes mais présentent aussi un caractère de dangerosité dans la mesure où ils prêchent des valeurs qui vont à l’encontre des valeurs républicaines. Par exemple, si un musulman veut apostasier, s’il veut quitter sa religion, d’après l’imam qui a importé le salafisme en France et que j’ai rencontré, il doit mourir, il faut le tuer. Quand je lui dit qu’en France de telles dispositions n’existent pas et que la peine de mort a été abolie, il insiste en disant qu’il faut trouver tous les moyens de le punir et que s’il quittait la France, il était mort. Là nous sommes en face de personnes extrêmement dangereuses car lorsqu’il s’adresse à moi, je peux lui répondre mais quand il s’adresse à des jeunes, dans sa mosquée, c’est très grave.

JOL Press : Justement, comment lutte-t-on contre l’intégrisme religieux ?
 

René Guitton : C’est la part la plus difficile car c’est par l’éducation qu’on lutte le plus efficacement contre les intégrismes, or ces groupes sont à ce point fermés sur eux-mêmes qu’ils ont leur système d’enseignement. Pour ce qui est des juifs et des chrétiens, ils ont leurs écoles, les musulmans ne sont pas très organisés encore sur le plan de la scolarité.

[image:2,s]Vincent Peillon, le ministre de l’Education nationale, est en train de mettre sur pied l’enseignement de la morale républicaine à l’école, mais ces mesures ne concerneront que les écoles publiques.

C’est à l’Etat d’intervenir, c’est complexe parce que tant qu’il n’y a pas « mort d’hommes », l’Etat baisse les bras, les responsables politiques se disent impuissants, ce qui rend le constat encore plus inquiétant. Cependant, je pense que l’Etat doit être extrêmement ferme sur les cantines scolaires, par exemple, dans les écoles publiques, pour qu’elles soient ouvertes à tous mais qu’elles servent aussi le même repas pour tous. Certains enfants, ayant été mal éduqués, sautent en effet des repas de peur que leurs légumes aient été préparés dans des plats ayant contenus des aliments interdits par leur religion. L’Etat peut intervenir, encore une fois, sur tout ce qui est public, le secteur privé lui échappant totalement.

Certains groupes, les plus radicaux, sont surveillés par les services de renseignements mais on n’intervient pas au niveau de l’éducation. C’est certes difficile mais c’est aussi très pervers car ces groupes forment les jeunes, s’arrangent pour que le parcours scolaire ne dépasse pas la troisième pour remplacer l’enseignement classique par l’étude des livres religieux. L’Etat ne doit pas pour autant abandonner ces jeunes.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

René Guitton oeuvre depuis de nombreuses années pour un dialogue philosophique, culturel et religieux entre l’Orient et l’Occident. Membre du réseau mondial d’experts de l’Alliance des Civilisations des Nations unies, il a obtenu le prix Montyon de l’Académie française, le prix Lyautey de l’Académie des sciences d’outre-mer et le prix Liberté, pour son ouvrage : Si nous nous taisons… (Calmann Lévy, 2001). Il est aussi l’auteur de Ces chrétiens qu’on assassine (Flammarion, 2009) – prix des droits de l’Homme -, ou encore En quête de vérité : le martyre des moines de Tibhirine (Calmann-Lévy, 2011).

Lire deux extraits de La France des intégristes, le refus de la République (Flammarion) :

> Mariage homo: le malaise des autorités religieuses

Pourquoi il est impératif de dénoncer les intégrismes religieux

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