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Le processus démocratique birman à l’épreuve des violences religieuses

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Une simple altercation entre un vendeur musulman et des clients bouddhistes le 20 mars dernier dans la ville de Meiktila, dans le centre de la Birmanie, a suffi à mettre le feu au pays. Attisée par des moines ultra-nationalistes, une vague de violences s’est abattue sur la minorité musulmane les jours qui ont suivi. Bilan : près de quarante morts, plus de 12 000 déplacés, une dizaine de mosquées détruites, des commerces incendiés…

Dans un pays qui compte 135 ethnies, où la minorité musulmane compte pour seulement 5% de la population birmane – appartenant à majorité à l’ethnie bamar bouddhiste -, les tensions interethniques et inter-confessionnelles ne datent pas d’hier.

Mais le processus de démocratisation engagé il y a deux ans avec le retrait de la junte du pouvoir semble raviver les tensions, jusqu’ici contenues sous la chape de plomb dictatoriale.

 

JOL Press : Les musulmans sont venus en très grand nombre du sous-continent indien s’installer en Birmanie au cours du régime colonial britannique, qui a pris fin en 1948. Depuis lors, ils n’ont jamais été pleinement intégrés. Le départ de la junte du pouvoir, en 2010, et l’acheminement vers la démocratisation du pays ont-ils exaspéré ce ressentiment ? Jusqu’ici contenues par une chape de plomb, les haines se libèrent-elles ?
 

On peut difficilement nier le sentiment xénophobe persistant en Birmanie contre les gens de l’Asie du Sud et les musulmans indiens en particulier. Il a ses racines dans des ressentiments qui sont nés à l’époque coloniale quand les Indiens étaient le soutien fidèle du colonisateur, et les banquiers indiens Chettiyar étaient perçus comme des usuriers notoires.

Des écarts économiques entre les Birmans et les musulmans ravivent ces ressentiments aujourd’hui, les musulmans étant souvent les premiers gagnants de l’ouverture économique récente.

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JOL Press : Les violences de ces derniers jours avaient pour cible non pas la minorité musulmane rohingya de l’État du Rakhine mais d’autres ethnies musulmanes qui, jusqu’à présent, cohabitaient bien avec le reste de la population birmane bouddhiste. La défiance s’étend-t-elle des musulmans rohingyas aux musulmans non-rohingyas? Il y a-t-il alors un risque d’extension des discriminations et des violences ?
 

La situation au Rakhine est très diverse suivant les régions ; une raison des problèmes a été le refus des gouvernements d’après-guerre, du Bangladesh comme de la Birmanie, de s’occuper du problème de l’immigration illégale,  des animosités, de la corruption et des rivalités entre communautés.  

C’est un cas à part. D’autres musulmans, comme les Kamans au Rakhine, les Zerbadi (Malais-Birmans), les Panthay (musulmans chinois), les Shans-musulmans sont beaucoup plus intégrés socialement que les Indiens. Dans le contexte global actuel, un risque d’extension de la polarisation des attitudes existe – notamment en raison de la propagande -, mais pas nécessairement de violences comme à Meikthila.

JOL Press : Au cours des violences intervenues dernièrement, les forces de l’ordre auraient fermé les yeux, selon des témoins sur place. Le gouvernement dément. Qu’en est-il ? Quel intérêt politique y aurait-il pour celui-ci, à un an des élections générales, de laisser prospérer le chaos dans le pays ?
 

Le gouvernement n’a aucun intérêt à laisser prospérer le chaos et les violences actuelles le gênent. Le gouvernement et Aung San Suu Kyi tombent d’accord sur le manque de formation de la police pour affronter ce type de situation. Ni la police ni l’armée ne peuvent se comporter comme à l’époque de la dictature, mais ils n’ont pas encore appris leur nouveau rôle.

Certes, plusieurs témoignages assurent que des responsables locaux ont toléré les exactions avant d’intervenir, mais ça c’est un réflexe qu’on a vu déjà sous le gouvernement autoritaire. Ce n’est pas nouveau. Laisser s’échapper le réflexe xénophobe pour détourner l’attention d’autres problèmes.

JOL Press : Alors que les troubles menacent de se propager jusqu’à Rangoon, l’ancienne opposante aujourd’hui députée et Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi reste quasi muette sur le sujet. Craint-elle, en s’élevant contre ces violences xénophobes, d’hypothéquer ses chances aux élections générales de 2015 dans un pays largement nationaliste ?
 

Oui, évidemment. Les médias occidentaux ont trop longtemps cultivé le mythe d’une sainte irréprochable, alors que ceux qui l’ont toujours connue ont fait la part des choses, mais ne pouvaient toucher au mythe. Aujourd’hui, elle a le droit de parler et elle agit comme une Birmane nationaliste, fière de son identité, fière aussi de l’armée nationale créée par son père.

Elle est celle qu’elle a toujours été sur le fond. Ceux qui pensent qu’elle doit faire un effort pour s’adapter aux nouvelles circonstances se trompent. Elle reflète en général dans sa politique un consensus national birman et l’intérêt de l’Etat centralisateur.

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Quels sont les principaux meneurs de cette campagne islamophobe ? Quels sont leurs mots d’ordre ?
 

Il semble que le mouvement « 969 » de l’abbé Wirathu (emprisonné pour incitation raciste anti-musulmane par les militaires en 2003 pour vingt-cinq ans, puis libéré anticipativement) se soit greffé sur les émeutes. Wirathu soutient qu’il ne fait que défendre l’identité bouddhiste et n’appelle pas aux assassinats. [Lancée au niveau national depuis le début de l’année, la campagne « 969 » prône la préférence bouddhiste dans le secteur économique et appelle au boycott des commerces musulmans, ndlr]. Il faut dire que « 969 » est une réaction au « 786 » des musulmans (additionnés, ces trois chiffres donnent 21 pour « XXIe siècle », siècle de la « victoire de l’islam dans le monde »).

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JOL Press : Quelle est la position du bouddhisme sur la tolérance, la violence, la vengeance ? En d’autres termes, les instigateurs de cette campagne anti-musulmane peuvent-ils s’appuyer sur le bouddhisme pour légitimer leur idées ?
 

La campagne islamophobe n’a rien à faire avec la séduisante doctrine bouddhiste, mais avec l’état du monachisme, du sangha. Dans le sangha, il y a des moines indignes de leur profession et le ministère des affaires religieuses devrait prendre des mesures contre eux. Voilà la responsabilité politique du gouvernement. La robe sacrée met à l’abri des activistes extrémistes et donne aux laïcs ouverts à leur propagande une couverture d’autorité. Il y a neuf gaings (sectes) de l’ordre en Birmanie, toutes n’ont pas les mêmes principes rigoureux de recrutement.

JOL Press : « Pogroms », « apartheid », « génocide » : ces mots ont été utilisés par des ONG et des médias ces derniers jours. Vous semblent-ils excessifs ?
 

C’est excessif, surtout quand on compare avec la virulence des moines singhalais contre les musulmans à Sri Lanka. On n’en est pas là. En Birmanie, chaque groupe ethnique utilise d’ailleurs à profusion le terme de génocide n’importe où et n’importe comment. L’excès de langage est notoire…. Un extrémiste à sa façon comme Maung Zarni (toujours bien apprécié de journalistes occidentaux, mais exécré en Birmanie) appelle Wirathu « néo-nazi » et toute la presse anglosaxonne a repris le même refrain. Mais cela signifie quoi ?

JOL Press : Doit-on s’attendre, dans les prochaines semaines, à voir des musulmans birmans se réfugier en masse dans les pays musulmans voisins, comme le Bangladesh ou la Malaisie ? Ces pays pourraient-ils alors être amenés à intervenir dans la résolution de ces troubles internes à la Birmanie ?
 

Non, je ne pense pas. Le Bangladesh n’attire personne et le plus grand nombre de « Birmans » en Malaisie vient de l’ethnie chin, chrétienne. Ils iront plutôt en Thaïlande, surtout quand ils viennent du pays karen, direction Chiang Mai.

JOL Press : A la suite des réformes engagées par le gouvernement de Thein Sein depuis son arrivée au pouvoir, en 2011, l’Union européenne a levé en avril 2012 toutes les sanctions contre le régime birman, à l’exception de l’embargo sur les armes. Washington a également suspendu la plupart de ses sanctions commerciales. La communauté internationale devrait-elle, selon vous, revenir sur ces décisions pour inciter l’Etat birman à protéger ses ressortissants musulmans ? 
 

Non, il faut encourager le gouvernement plutôt que de le pénaliser. Tout le monde fait appel au gouvernement pour tout, mais le gouvernement ne peut pas éradiquer le réflexe xénophobe d’une partie de la population par oukaze. Il faut se résoudre à accepter un très long processus d’éducation sociale de la population sur la nécessité de vivre ensemble en paix. Il y a des problèmes communautaires dans beaucoup de pays en Asie, en Afrique, en Amérique, en Europe : pourquoi se concentrer alors sur la seule Birmanie pour la discipliner sur ce sujet ?

Personne n’appelle à sanctionner la Chine parce qu’elle malmène les Tibétains. Le Sri Lanka, en dépit de toutes les horreurs contre les Tamouls et maintenant les musulmans, n’a jamais été menacé de sanctions. 

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