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Le recours au médicament générique ne doit pas être automatique

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Aubaine apparente pour le consommateur et le système de santé, le commerce des génériques cache des deals énormes au niveau international, des pressions morales et financières sur les médecins et les pharmaciens, tout cela dans une totale opacité sur les procédés de fabrication en Inde ou en Chine. À l’heure où la traçabilité des aliments devient une exigence, le docteur Sauveur Boukris pose une question majeure : et si le grand perdant était le malade lui-même ?

JOL Press : Pour quelles raisons avez-vous décidé d’écrire ce livre ?
 

Sauveur Boukris : Dans un précédent livre, Santé : la démolition programmée (Le Cherche Midi – 2011), j’avais dénoncé l’imposture des génériques. Je disais déjà que les génériques n’étaient pas les copies conformes des produits de marque et je dénonçais une sorte de propagande d’Etat sur le sujet. A l’époque, ce passage de mon livre m’avait valu une réponse du GEMME, association des fabricants de générique, qui étaient allés jusqu’au Conseil de l’Ordre des médecins pour dénoncer mes propos. J’ai donc poursuivi mon travail en profondeur afin d’expliquer en quoi le générique était différent, sur le plan du principe actif, sur le plan des excipients, ou sur l’origine des matières premières. Non seulement des différences existent entre le générique et le produit de marque mais aussi entre les génériques eux-mêmes. Et ces différences ont des répercussions cliniques.

Dans mon livre, j’ai avant tout voulu dénoncer la politique du tout générique, qui impose au patient une obligation de prendre du générique, alors que ce n’est pas forcément bon pour lui.

JOL Press : A qui ce livre est-il destiné ?
 

Sauveur Boukris : C’est un livre destiné au grand public, aux consommateurs de médicaments afin de les éclairer sur la propagande instituée par les autorités de santé sur le générique mais aussi les laboratoires pharmaceutiques qui les fabriquent.

JOL Press : Quel est le principal problème que posent les médicaments génériques ?
 

Sauveur Boukris : Lorsque vous avez une maladie bégnine et que vous devez prendre un médicament de courte durée, vous pouvez prendre un générique : au lieu d’aller mieux au bout du quatrième jour, vous serez guéri au bout de six jours, mais le médicament sera efficace.

En revanche, si vous êtes âgé, si vous avez plusieurs maladies, si vous prenez plusieurs médicaments, je préfère vous prescrire la molécule de marque que le générique. Ainsi, je suis sûr de savoir quel médicament il prend, je suis sûr de sa concentration. Par ailleurs, avant un traitement, le malade doit connaître le nom des médicaments qu’il prend. Si une personne âgée en déplacement fait un malaise, on lui demandera le nom de ses médicaments, or si elle en prend plusieurs elle ne pourra pas se souvenir du nom chimique de la molécule…

JOL Press : Les génériques peuvent-ils être dangereux pour la santé ?
 

Sauveur Boukris : Il faut tout d’abord préciser qu’ils sont, pour la plupart, moins efficaces. On assiste aussi à des réactions d’intolérance avec les génériques car certains excipients qui les composent peuvent être allergisants. Enfin, il n’y a jamais eu d’études comparatives entre les génériques. Un patient diabétique qui changerait de pharmacie peut tomber sur des médicaments différents qui n’auront pas forcément la même efficacité et la même tolérance. Si un malade a trouvé un bon générique, qu’il ne change pas de marque. Les génériques qui soignent le même mal ne sont pas tous composés de la même façon.

Mais je veux bien rappeler que je ne suis pas anti-générique, j’en prescris à mes patients. Je déplore juste la politique du tout générique. Le générique ne peut être systématique.

JOL Press : Pourquoi les médecins continuent-ils à les prescrire en grande quantité ?
 

Sauveur Boukris : Dans la loi de finance de la Sécurité sociale, des accords ont été signés avec des syndicats des médecins afin qu’ils s’engagent à prescrire davantage de génériques. Certains médecins craignent donc d’être réprimandés par la Sécurité sociale s’ils n’en prescrivent pas assez.

[image:2,s] Par ailleurs, s’il ne souhaite vraiment pas qu’on fournisse à son patient un générique le médecin doit préciser sur l’ordonnance la mention « non substituable ». Mention qui doit être écrite à la main, à gauche de chaque médicament, une contrainte auquel les médecins ne veulent pas forcément se soumettre.

Si cette mention n’est pas faite, le pharmacien a un devoir de substitution, il a un objectif de résultat, il doit vendre plus de 85% de génériques sinon il a des sanctions. En juillet 2012, par exemple, une pharmacienne des Deux-Sèvres a été déconventionnée pendant un mois car elle n’avait pas atteint ses objectifs. Les pharmaciens subissent des incitations financières : si vous atteignez vos objectifs, la Sécurité sociale vous donne une prime de 3000 euros. En outre, les marges sont plus intéressantes pour le pharmacien avec des médicaments génériques qu’avec des médicaments originaux.

Le générique est un sous médicament dont l’origine des matières premières n’est pas contrôlée aussi scrupuleusement qu’une molécule de marque. Je ne suis pas contre sa prescription mais il ne faut pas dire ces médicaments sont identiques. Ce n’est pas scientifique. C’est une escroquerie intellectuelle.

JOL Press : Qu’espérez-vous de la part de la ministre de la Santé, Marisol Touraine ?
 

Sauveur Boukris : Marisol Touraine est au courant de ce que nous dénonçons : une lettre ouverte du Collectif interassociatif sur la Santé lui a été envoyée, en septembre dernier, qui reprend les mêmes arguments que moi. Elle doit exiger une plus grande transparente en matière d’information sur le générique. Elle pourrait décréter aussi que quand un médicament tombe dans le domaine public, on détermine son prix, afin que les pharmaciens n’aient aucun intérêt à vendre un médicament plutôt qu’un autre. Il ne faut pas oublier que le grand perdant de cette politique du tout générique, c’est le malade.

Propos recueillis par Marine Tertrais

Sauveur Boukris est médecin généraliste, enseignant à la faculté Bichat et Lariboisière et collabore à plusieurs revues médicales. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Ces médicaments qui nous rendent malades : sauver des vies, faire des économies », préfacé par Philippe Even, aux éditions du Cherche Midi (4 juin 2009).

Médicaments génériques : la grande escroquerie, aux éditions du Cherche Midi (11 avril 2013)

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