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Les leçons de démocratie du président tunisien à l’Occident

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Être démocrate est un métier. Lors de sa visite à Paris, à l’occasion de la sortie de son livre L’invention d’une démocratie, le président tunisien Moncef Marzouki a offert sa vision de la démocratie, celle qu’il a apprise lorsqu’il était dans les prisons du régime de Ben Ali. Un modèle qu’il veut offrir aux Tunisiens et sur lequel l’Occident ferait bien de s’attarder plus de quelques minutes.

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Deux ans après les premières révolutions arabes, la communauté internationale assiste, inquiète, au douloureux accouchement des nouveaux régimes, brinquebalants et fragiles et qui ne répondent pas souvent aux espoirs des prêcheurs de la démocratie à l’occidentale qui ont soutenu les manifestants de Sidi Bouzid à la place Tahrir.

Difficiles démocraties des Printemps arabes

En Egypte, on regarde les Frères musulmans s’emparer progressivement de toutes les parcelles du pouvoir. En Libye, on observe impuissants les tribus, auparavant protégées et gâtées par Mouammar Kadhafi, s’entretuer dans ce qui reste des derniers bastions de la révolution.

Puis il y a la Tunisie. Instigatrice des Printemps arabe, la Tunisie tente elle aussi de se frayer un chemin vers la construction démocratique. Un chemin tellement long. Qu’il s’agisse des islamistes, largement présents dans la vie politique, des salafistes dont l’activisme sur le terrain a été rappelé au monde lors du récent assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd, ou encore de cette constitution qui traîne à être rédigée.

A la tête de tout ce processus politique, le président Moncef Marzouki.

Le président tunisien était à Paris, vendredi 12 avril. Invité à l’Institut du monde arabe, Moncef Marzouki est venu présenter son dernier livre L’invention d’une démocratie. Une sorte de carnet de bord d’un président face au plus grand défi qui soit : entamer la construction d’un pays anéanti par une trentaine d’années de dictature.

L’invention d’une démocratie. Mais quelle démocratie ? Celui qui parle est alors l’homme et non plus le président. Un homme qui a découvert le concept de démocratie après avoir baigné dans le nationalisme le plus radical durant de nombreuses années.

C’est celui-là qui veut, aujourd’hui, inventer un modèle de démocratie pour les Tunisiens.

Le ver dans le fruit des démocraties

Quelle démocratie ? Surtout pas celle à l’occidentale. Pour Moncef Marzouki, celle-ci a aujourd’hui « un ver dans le fruit ».

« L’interpénétration presque obscène de l’argent et de la politique. Les campagnes électorales supposent  des quantités d’argent telles qu’elles ne peuvent que pervertir la démocratie. Un autre défaut de ce « modèle est de fonctionner dans le court terme, au mieux à cinq ans. Or nous avons tous besoin de politiques qui se projettent à trente, quarante ou cinquante ans, » voilà ce que sont les démocraties occidentales selon le président tunisien.

Socrate aurait-il pu dire mieux ?

Une démocratie pour qui ? Pour tous, et tous sans même une toute petite exception. Pour lui, diriger un pays après avoir été élu à 50% et quelques, il n’y a qu’en France que ça marche encore. En Tunisie, « c’est le consensus ou l’affrontement. Il n’y a pas d’autre alternative. »

Pour les Tunisiens, la démocratie sera donc absolue ou ne sera pas. Elle sera représentative de chaque Tunisien et aucune idée politique ne sera ignorée.

Moncef Marzouki parle de la démocratie comme d’un trésor aux Européens qui la prennent peut-être un peu trop pour un acquis immuable.

Tout l’art d’être démocrate

Dans la salle de l’Institut du monde arabe depuis laquelle s’exprimait le président tunisien, de nombreux Tunisiens d’origine et résidant en France s’étaient rassemblés. Tous semblaient unanimes lorsqu’ils s’adressaient au Président pour l’accuser de dialoguer avec les plus islamistes des islamistes.

A chaque question, Moncef Marzouki a eu cette même réponse. « Serai-je démocrate si je n’écoutais pas mes citoyens ? »

« Nous devons travailler avec tous, » explique encore celui qui, et il est sans doute l’unique en son genre dans le club des présidents au monde, a reçu dans son bureau du palais de Carthage, toutes les factions politiques existantes en Tunisie, de la plus modérée à la plus extrémiste.

« En Tunisie comme ailleurs, il n’y a pas d’autre alternative que la démocratie consensuelle », affirme-t-il encore, car « il faut que nous trouvions un moyen de vivre ensemble. »

Un « vivre ensemble » qui ne peut fonctionner aujourd’hui que grâce à un gouvernement, certes hétéroclite et dont je ne doute pas qu’il doit être le théâtre de débats houleux, parfois stériles, mais qui a le mérite d’être la représentation des voix de chacun des Tunisiens.

Je ne doute pas que dans quelques années, lorsqu’un bout de chemin aura été parcouru, il fera très bon vivre en Tunisie.

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