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Liberté d’expression: les dessinateurs de presse ont-ils «fini de rire»?

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Le point de vue de 40 caricaturistes 

A l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la Presse, le 7 mai prochain, Arte diffusera le documentaire Fini de rire dans lequel le réalisateur Olivier Malvoisin part à la rencontre de dessinateurs de presse dans différents contextes sociaux et politiques du monde.

En attendant, l’internaute peut consulter le webdocumentaire, disponible depuis le 15 avril dernier. Où en est la liberté d’expresison en Israël, en Iran, en Tunisie, en Colombie ou au Venezuela? Le projet livre un état des lieux grâce aux témoignages de quarante dessinateurs de presse, dont Plantu, Kichka, Kroll, Hachfeld, Kianoush ou encore Rayma Suprani, tous partenaires de l’association « Dessins pour la Paix », une initiative née le 16 octobre 2006 et présidée par Plantu.

Etat des lieux de la liberté d’expression aux quatre coins du monde

« Si tu te présentes comme un dessinateur de presse, ils vont te garder à l’œil, ils vont t’espionner car tu représentes un danger pour l’Iran », explique Kianoush, un dessinateur iranien, réfugié politique en France depuis 2009. Le caricaturiste revient sur la situation de la presse depuis l’accession au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, le 12 juin 2009. Des médias muselés, un accès à Internet contrôlé…Quelques mois après les élections ce sont même des journalistes et des activistes qui sont arrêtés par le gouvernement « pour mettre un terme au ‘mouvement vert iranien’ », explique le caricaturiste. 

Autre témoignage fort : celui d’Emad Hajjaj, un dessinateur politique jordanien rendu célèbre pour son personnage Abu Mahjoob, très populaire en Jordanie, qui représente le Jordanien type. « Je dessine depuis 20 ans en Jordanie et je rencontre toujours des problèmes. Avec le temps malheureusement, de plus en plus de lois sont votées qui réduisent la liberté d’expression en Jordanie »

Explications d’Olivier Malvoisin, réalisateur du webdocumentaire Fini de rire

JOL Press : Le projet a été initié en 2006. Est-ce que la première affaire des caricatures de Mahomet a été l’élément déclencheur pour réaliser un documentaire sur la liberté d’expression chez les caricaturistes?

Olivier Malvoisin : En effet, le projet est né dans ce contexte.  J’avais proposé de faire un petit reportage pour le lancement de l’association Cartoon for Peace, crée par Plantu. Pour les gens de ma génération, ce sont des choses qu’on ne voyait pas dans les années 90 : les dessinateurs menacés de mort, ou des mots tels que « blasphème », « censure », « interdiction de publication ». Je voulais aller au-delà du portrait du dessinateur de presse et de son métier. Au travers du dessinateur de presse, il y avait, à mon sens, une manière d’interroger notre époque. La liberté d’expression et représentation,  qui sont les choses avec lesquelles les dessinateurs jouent, sont au cœur des enjeux politiques. Cette forme de narration permettait d’interroger plus loin que le métier, c’était révélateur de l’air du temps.

JOL Press : Vous avez rencontré 40 dessinateurs de presse dans le monde. Comme le dit Plantu, est-ce que ces rencontres sont un « baromètre de la liberté d’expression » qui permet de mieux comprendre les tabous dans une société ?

Olivier Malvoisin : C’est en tout cas le parti pris dans la forme narrative. Le dessinateur dans sa fonction sociale et journalistique, le bon dessinateur conteste, touche à la limite, interroge, montre les failles, montre les rugosités du cadre dans lequel il travaille. Dans le webdocumentaire, on a un bel aperçu de là où se trouve la limite, là où se trouve le tabou du rapport du pays à la liberté d’expression.

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JOL Press : Au delà de la représentation religieuse, avez-vous constaté l’apparition de nouveaux tabous pendant votre travail ?

Olivier Malvoisin : Il y a toujours des spécificités géographiques et culturelles : il n’y a pas de mondialisation du dessin ou des tabous. Par contre, il y a des tendances qui apparaissent. Dans les démocraties libérales, en Amérique Latine, en Europe et en Afrique, là où il y a de bonnes constitutions,  il n’y a plus de censure à priori. Ce n’est plus l’Etat qui empêche, qui censure : la liberté d’expression est acquise. Il s’agit en fait d’une censure à posteriori : c’est la censure économique, l’interdépendance entre les journaux et les acteurs économiques, ce sont les groupes de pression assez organisés, religieux ou autre qui opèrent la censure. Pour les créateurs, les dessinateurs et les journalistes, il y a de plus en plus de dépendance et d’auto-censure.

Par exemple, le caricaturiste belge Kroll explique qu’il n’y a pas de censure dans son journal – s’il voulait parler des problèmes israélo-palestiniens il pourrait le faire, mais c’est une forme de lassitude qui s’installe. En raison des enjeux économiques, la rédaction n’a pas envie de s’attirer des ennuis et abandonne certains sujets. Il s’agit donc d’une autocensure structurée, institutionnalisée et pas seulement personnelle . Cela crée une forme de lissage dans les modes d’expression dans les journaux qui sont supposés mettre en avant les failles du système. 

JOL Press : Pourquoi les dessinateurs de presse sont-ils plus exposés que les journalistes ?

Olivier MalvoisinLes dessinateurs de presse occupent une place particulière dans un journal, car leur travail n’est pas basé sur l’enquête ou sur des sources: ils sont des créateurs artistiques.  De plus, les dessinateurs de presse sont une porte d’entrée dans le journal. Le dessin est la première chose que l’on voit en ouvrant un journal, ils sont donc exposés autant que l’éditorialiste. On peut cependant difficilement comparer la position d’un caricaturiste basé en France ou en Belgique, avec la position d’un caricaturiste en Venezuela, en Iran ou en Tunisie comme Willis from Tunis qui travaille sans être rémunérée, en postant ses dessins via Facebook et Twitter pour émettre une opinion. Ce type d’engagement témoignage d’un certain courage, il y a de la reconnaissance, certes, mais pas d’enjeux financiers. 

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JOL Press : Le documentaire sera diffusé dans le cadre de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 7 mai prochain sur Arte. Vous avez également choisi de faire un projet crossmedia : est-ce l’outil le plus approprié pour traiter de la liberté d’expression ?

Olivier Malvoisin : Il y a une écriture documentaire, mais d’autres formes de narration m’ont vite interessé, un travail plus large sur la liberté d’expression. Les formes de web documentaire – travailler sur du non linéaire, mais en donnant plusieurs points d’entrées dans la problématique de la liberté d’expression – se prêtaient à merveille. Arte qui était dans le même esprit a été précurseur et s’est montré interessé : nous avons commencé à développer le webdocumentaire en parallèle du docuentaire.

Je voulais quelque chose de simple: nous avons donc établi une cartographie des tabous et des limites. Il y a un parcours géographique ou un parcours thématique. Fonctionner par thème permettait de montrer que mondialisation ou pas, il y a des choses spécifiques à chaque pays par rapport à la liberté d’expression.

Le webdocumentaire nous permettra d’évoluer en réalisant notamment une deuxième phase dans ce projet. La forme du webdoc nous permettra de couvrir 80 pays, soit la moitié du globe. En alimentant le webdocu au fur et à mesure, le projet deviendra une photographie pertinente des limites à la liberté d’expression aujourd’hui, un document pertinent qui pourra être utilisé par un anthropologue. 

>>Découvrez l’intégralité du webdocumentaire Fini de rire

>> Suivez l’évolution du projet sur Facebook

Propos recueillis par Louise Michel D. 

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