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L’information, une question de démocratie pour Médiapart

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S’agissant des affaires publiques, la publicité doit être la règle et le secret l’exception. Rendre public ce qui est d’intérêt public est toujours légitime. Tout document qui concerne le sort des peuples, des nations et des sociétés mérite d’être connu de tous afin que chacun puisse juger sur pièces, choisir pour agir, influer sur la politique des gouvernements.

Si, en démocratie, le peuple est souverain, alors la politique menée en son nom ne saurait être l’apanage d’experts et de spécialistes, d’élites et de professionnels, seuls destinataires des informations légitimes, et agissant comme des propriétaires privés d’un bien public. Preuve en est la diabolisation par les puissants de la « transparence » notamment revendiquée par Mediapart, comme si le journal réclamait un droit inquisitorial à percer les secrets alors que, au contraire, ses curiosités n’ont jamais porté que sur des sujets d’intérêt public (Karachi, Bettencourt, Kadhafi…).

Fondé sur l’expérience de Mediapart, Le Droit de savoir recense les obstacles qui se sont dressés en travers de son chemin pour empêcher l’information et les enquêtes ; le livre revient sur les filatures, les écoutes, les campagnes de diffamation, les plaintes de l’ancien gouvernement. Il analyse aussi les conséquences de ses révélations et les débats publics qu’elles ont provoqués. Surtout, à l’heure de la révolution numérique, cet ouvrage constitue un plaidoyer pour une nouvelle loi fondamentale sur la liberté de l’information. Un droit qu’il faut étendre, consolider et renforcer.

Extraits de Le Droit de savoir d’Edwy Plenel (Don Quichotte éditions)

La question de l’information, avant de devenir un enjeu professionnel ou une affaire économique, est au cœur de la vitalité démocratique elle-même. Ce n’est pas une question annexe ou seconde, mais la condition essentielle et première de sa promesse, ce gouvernement de n’importe qui. Le droit de savoir en est la garantie : sans connaissance égale des faits d’intérêt public, pas de cité commune; sans accès partagé aux informations qui la conditionnent, pas de démocratie vivante. Proclamer ce droit, c’est ainsi refuser la confiscation de la politique par ceux qui prétendent savoir quand d’autres ne pourraient jamais savoir.

Une cité est faite de citoyens, et un citoyen est celui qui est « capable de gouverner et d’être gouverné », l’un aussi bien que l’autre, l’un comme l’autre. La formule est du philosophe Aristote, témoin et théoricien du laboratoire athénien où, dans l’Antiquité méditerranéenne, prit forme l’idéal démocratique. À tel point que le tirage au sort y était la règle pour les gouvernants de la cité, tandis qu’en revanche les responsables d’administrations particulières – l’argent et la guerre notamment : gérer les finances, commander les armées – étaient élus sur examen de leurs compétences.

Commentant cette théorisation du n’importe qui démocratique, un philosophe contemporain, Cornelius Castoriadis, en a souligné l’enjeu : pour que cette promesse soit, sinon accomplie, du moins approchée au plus près, il faut créer les conditions de l’autonomie des individus qui, collectivement, composent la cité. Et, à cette fin, instaurer « un processus politique éducatif visant à rendre aussi proche que possible de la réalité le postulat de l’égalité politique » – ce que les Grecs anciens nommaient la paideia.

Dans nos sociétés modernes, de temps accéléré et d’espace rapproché, l’information fait partie de cette pédagogie politique indispensable : sa qualité, son intégrité et sa pluralité, son sérieux et sa profondeur, le fait qu’on y ait accès librement, sans entraves ni censures, ainsi que l’indépendance de ses producteurs, sans servitudes idéologiques ou économiques. Le droit de savoir des citoyens est à la source de la légitimité des journalistes : la responsabilité qui leur incombe est de créer les conditions de cette autonomie politique des individus sans laquelle le collectif démocratique n’est qu’une imposture ou une mascarade.

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