L’opération Serval a-t-elle été une réussite ? C’est ce que semble croire le Premier ministre français, qui s’est félicité de cette lutte « face au terrorisme ». Pour Roland Marchal, chercheur au CNRS, tout n’est peut-être pas si parfait.
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Plusieurs mois après l’opération au Mali, le gouvernement s’est félicité d’avoir mis un terme à l’invasion du territoire par divers groupes djihadistes. La France, qui a voté à l’unanimité le prolongement de l’Opération Serval, a déjà rapatrié 500 hommes. Aujourd’hui, 3850 soldats français sont encore déployés et leur nombre devrait être ramené à 2000 en juillet avant d’être encore réduit à 1000 – qui seront détachés au sein des forces de maintien de la paix de l’ONU.
Sur le terrain, la mission est donc un succès. De nombreuses villes ont été libérées et le Mali devrait pouvoir amorcer sa transition. Pourtant, pour Roland Marchal, chercheur au CNRS et au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI, il ne faut pas tirer de bilan hâtif.
Le Mali est bien loin d’être sorti de la crise et la France pourrait bien avoir à jouer désormais un rôle politique plus poussé.
JOL Press : Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a qualifié l’Opération Serval de « réussite ». Estimez-vous, vous aussi, que ces dernières semaines d’opération au Mali peuvent être qualifiées de « réussite » ?
Roland Marchal : L’Opération Serval est d’abord une opération militaire et de ce point de vue-là, nous pouvons dire que sur ces dernières semaines d’intervention, les forces armées ont atteint leur objectif. Nous avons eu peu de pertes et il y a également eu peu de dommages collatéraux.
En revanche, le cadre politique dans lequel la transition malienne doit avoir lieu reste toujours évanescent et ce problème est loin d’être réglé.
D’autre part, François Hollande, Laurent Fabius et Jean-Marc Ayrault se sont engagés à éliminer le terrorisme, en janvier dernier, et bien entendu, sur ce point-là, la défaite était écrite d’avance.
JOL Press : Qu’entendez-vous par-là ?
Roland Marchal : « Lutter contre le terrorisme », ces termes ont été répétés à de multiples reprises. Mais le terrorisme n’est pas une entité, ni un groupe, c’est une technique, une méthode.
Si la France veut lutter contre le terrorisme au Sahel, elle peut se préparer à y rester pour les huit prochains siècles !
JOL Press : Peut-on dire néanmoins que les djihadistes ont aujourd’hui quitté le territoire malien et que cette chasse est terminée ?
Roland Marchal : Ces terroristes n’ont pas été éliminés. Les Français sont intervenus rapidement et ont été très mobiles durant les premières semaines de l’Opération Serval. Les djihadistes les attendaient et s’étaient préparés à une réponse à leur invasion.
Cependant, l’avancée rapide des Français les ont vite désorganisés. Certains se sont alors réfugiés dans l’extrême nord du pays, là où combattent encore les forces combattantes françaises, d’autres se sont retranchés dans des camps de réfugiés et dans l’anonymat, d’autres encore sont redevenus des civils.
Aujourd’hui, nous sommes face à plusieurs problèmes car ces groupes djihadistes, qui ont, dans une certaine mesure, le soutien de la population, existent toujours et sont répartis dans le pays.
Nous avons donné un coup de pied dans la fourmilière. Désormais, nous pouvons croire que nous sommes prêts de la fin, mais nous pouvons aussi être prévoyants et avoir conscience que, dans quelques mois, ils reviendront, mieux aguerris et plus forts face aux forces des Nations Unies.
Les Français continueront peut-être de gagner des batailles, mais la guerre ne leur est pas acquise.
JOL Press : Dans un premier temps, l’actualité malienne pourra alors laisser un peu de place à la transition politique ?
Roland Marchal : C’est l’enjeu principal de ces prochains mois. Or sur ce point, on ne peut plus rien qualifier de « réussite ».
On le sait aujourd’hui, les Français sont désormais les comptables de la crise malienne, et ce hors du cadre militaire.
Des élections doivent être organisées en juillet, mais c’est très optimiste compte tenu de la réalité malienne !
D’ici-là, il faudrait que de nombreux problèmes soient réglés. Il y a déjà environ 400 000 réfugiés qui ont un droit de vote mais ne sont plus aujourd’hui au Mali, il y a encore de nombreuses zones du nord du pays dans lesquelles l’administration n’a pas encore été réinstallée et qui devrait revenir progressivement, et il y a également un problème de légitimité du gouvernement.
Le Mali est un pays désuni, et tant qu’il n’a pas retrouvé une forme d’intégrité, un gouvernement légitime ne peut pas sortir des urnes.
JOL Press : N’y a-t-il pas pourtant une commission Dialogue et Réconciliation qui travaille à cette réunion du nord et du sud ?
Roland Marchal : L’histoire de cette commission est assez symbolique de ce qu’elle est aujourd’hui. A la demande de la communauté internationale, la commission a été créée le 28 janvier dernier. Le 6 mars, c’est-à-dire plus de deux mois plus tard, un décret du président la créait officiellement. Ce n’est ensuite que le 10 avril que ses membres ont été nommés.
Concernant les membres justement. Ces derniers sont au nombre de 30. Parmi eux, seuls trois Touaregs et quatre arabes siègent au nom des populations du nord. Sept personnes absolument pas représentatives de ces populations puisqu’elles viennent de Bamako.
La classe politique malienne ne voulait pas de cette commission et en la créant ainsi, a véritablement témoigné de son désintérêt total de la question face à la communauté internationale.
JOL Press : Il y a pourtant de nombreuses questions à régler entre le nord et le sud.
Roland Marchal : Il y a de très nombreuses questions. Les populations du nord se sentent depuis toujours profondément ignorées ou trahies par le gouvernement central et c’est en ce sens que la réconciliation doit intervenir. Ce débat n’a pas eu lieu.
A Bamako, la question de la junte militaire doit aussi être réglée. Le capitaine Sanogo, bien que moins populaire et affaibli, reste fort car il exprime un sentiment de ras-le-bol au sein de l’armée. Il a été influent depuis ces derniers mois et est parvenu à démettre des officiers, à en nommer d’autres. Il a des amis dans la gendarmerie, dans la police. Il compte également quelques ministres proches de lui. Sa capacité de nuisance est encore bien réelle et il pourrait notamment peser dans un sens qui ne sera pas forcément conforme, ni à celui de la France, ni à celui du Mali.
JOL Press : Cette réconciliation intéresse-t-elle vraiment le pays ?
Roland Marchal : Elle n’intéresse absolument personne. Le nord et le sud resteront désunis encore longtemps et une chose est sûre, si les Français partent et que l’armée malienne investit les territoires du nord et notamment la capitale, Kidal, il y aura sans aucun doute un petit massacre qui donnera du grain à moudre aux médias.