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«Marseille Connection»: la cité phocénne, lieu de tous les trafics

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JOL Press : A partir des années 50, la cité phocéenne devient ce que vous appelez le « phénix de la came ». Comment la deuxième ville de France est-elle devenue un laboratoire international de la drogue?

François Missen : Cela ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire de Marseille colle à l’histoire de son port. Il y a eu, au début du XXe siècle, un trafic maritime destiné à l’Extrême-Orient. Beaucoup de ces marins ont découvert l’opium et se sont aperçus que ce produit pouvait intéresser les Américains. A Marseille, de «grands chimistes» ont intégré le trafic, pour transformer l’opium en morphine-base avec lequel on fait l’héroïne. Dans la tradition, l’histoire, Marseille a toujours représenté la capitale de la drogue. 

JOL Press : Comment ce commerce local s’est-il mondialisé ?

François Missen : Les acheteurs potentiels se trouvaient aux Etats-Unis, parce que la diaspora, essentiellement corse, s’y était répandue. A partir de Marseille, les trafiquants ont noué des relations avec les personnes basées à New York, Miami et au Canada. A partir de là, une toile d’araignée s’est mise en place : le produit qui arrive d’Extrême-Orient, du Pakistan, d’Afghanistan et du Liban est transformé par les Marseillais, par ses « chimistes », puis est exporté aux Etats-Unis. Un réseau se met en place avec d’énormes rendements : parfois 150 kilos par voyage. C’est ce qu’on appelle la French Connection.

JOL Press : Pourquoi les autorités françaises ont-t-elles fait preuve d’un tel laxisme ?

François Missen : Pendant très longtemps, le trafic de la drogue était quelque chose de folklorique. Lorsque j’étais jeune journaliste à Marseille au début des années 60, j’ai voulu faire une enquête sur la drogue. On m’a répondu : « on s’en fout, cela concerne les Américains mais pas nous ». Au-delà du laxisme, c’est un peu criminel de dire que ce n’est pas intéressant car cela ne concerne pas la consommation française.  D’autre part, au début des années 60, le système policier français se concentrait sur des évènements bien plus importants : la fin de la guerre d’Algérie.

JOL Press : Qu’est ce que le marché dit du «repenti» avec la justice américaine ?

François Missen : La justice américaine, à la différence de la France, joue en quelque sorte sur le rendement. En France, le système policier et judiciaire est emprunt d’une forme de pudibonderie : on ne discute pas avec les trafiquants. Les Etats-Unis sont beaucoup plus réalistes : si les trafiquants peuvent leur donner des informations qui leur permettent d’arrêter d’autres personnes, ils font un deal : c’est le 5e amendement de la Constitution. En délivrant des informations que les enquêteurs auraient passé des mois à récolter, les trafiquants échappent à trente ans de prison. Cependant, ce deal est un faux marché, car il ne concerne que les nationaux Américains, pas les étrangers.

JOL Press : Comment la French Connection a-t-elle été démantelée ?

François Missen : Après un esclandre politique entre Nixon et Pompidou. Georges Pompidou a pris des mesures pour arrêter ces trafiquants. Le commissaire Marcel Morin, s’est installé dans la cité phocéenne avec une dizaine de policiers sous ses ordres. Le commissaire Morin et son équipe ont effectué sur place un travail assez novateur et efficace : ils ont constitué un trio anti-drogue avec un procureur et un juge d’instruction qui se sont concertés. Leur technique a été déterminante. En 1974, on ne trouvait pas un gramme d’héroïne de Marseille à travers l’Europe et les Etats-Unis. Mais à la mort de Georges Pompidou, Giscard d’Estaing a considéré que l’histoire était terminée, qu’il n’y avait plus de problèmes de drogue. Il a donc démobilisé l’équipe politico-judiciaire basée à Marseille, et les trafiquants se sont remis au travail.

JOL Press : L’explosion de la criminalité à Marseille aujourd’hui est-elle comparable à celle que la ville connaissait jusque-là ?

François Missen : Aujourd’hui, les trafiquants sont plus éparpillés, rendant plus difficile le démantèlement, car le commerce se reconstitue sans cesse. Cela tient aussi à la différence des produits. Aujourd’hui, le haschisch et la cocaïne circulent davantage que l’héroïne à l’époque. 

JOL Press : Nicolas Sarkozy avait fait de  la cité phocéenne l’un des enjeux de sa politique de sécurité. Qu’est-ce qui a changé depuis ? 

François Missen : La politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy à Marseille a été totalement bidon. Si vous ne donnez pas des armes de substitution à cette politique sécuritaire, c’est-à-dire du travail et de l’éducation, cela ne sert à rien. Nicolas Sarkozy a laissé proliférer les banlieues pendant sept ans. François Hollande a pris l’héritage, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse de plus? Cela fait à peine un an qu’il est au pouvoir…

JOL Press : Marseille a été élue «capitale européenne de la culture 2013». Pensez-vous que ce titre changera la mauvaise réputation de la ville?

François Missen : Non, parce que derrière cette manifestation culturelle se prépare « la post-culture » : tous les procès qui vont avoir lieu avec l’argent qui a disparu.

 

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