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Même un remaniement ne sortirait pas d’affaire François Hollande

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« Je demande à Jérôme Cahuzac de tirer toutes les conséquences de ce mensonge particulièrement grave, à l’égard de la République, à l’égard de l’Etat républicain, à l’égard des Français, et de ne plus exercer de responsabilité politique », a déclaré Jean-Marc Ayrault, sur France 2 au journal télévisé, mardi 2 avril. Au lendemain des aveux de Jérôme Cahuzac et de sa mise en examen pour « blanchiment de fraude fiscale », la séance des questions au gouvernement, mercredi 3 avril, a été particulièrement agitée. Marine le Pen est même allée jusqu’à demander « la démission du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale ».

Un remaniement ministériel serait-il justement une bonne solution pour sortir au plus vite de la crise pour François Hollande ? Eléments de réponse avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Face au scandale qui secoue actuellement le sommet de l’Etat, un remaniement serait-il opportun ? Indispensable ?
 

Philippe Braud : Ce serait une erreur d’y procéder maintenant. Pour le Président et sa majorité, une réponse aussi forte accréditerait l’analyse selon laquelle l’affaire Cahuzac n’est pas qu’une simple défaillance individuelle, hautement regrettable mais isolée. Or cette ligne de défense est encore la meilleure, en attendant les contre-attaques qui pointeront d’autres mensonges dans d’autres directions.

En outre, un remaniement maintenant donnerait l’impression d’être mené sous la contrainte, ce qui n’est pas précisément souhaitable quand on veut redorer le blason de son autorité.  Certes, le changement de Premier ministre est inéluctable dans un avenir assez proche. Il est le principal atout du Président pour tenter de remonter la pente d’une grave perte de crédibilité. Encore faut-il le jouer à bon escient, c’est-à-dire de préférence à un moment où l’horizon économique s’éclaircirait, de façon à permettre à la nouvelle équipe de surfer sur la vague de résultats plus positifs.

Une telle amélioration de la conjoncture, attendue certainement avec impatience par le Président, n’est pas impossible, qu’elle soit due aux premiers effets tangibles de la politique menée en France ou, plus probablement, au rétablissement de la zone euro qui améliorerait par contrecoup les performances économiques de la France. Hormis cette hypothèse, l’inéluctable changement de Premier ministre risque fort d’être un coup d’épée dans l’eau.

JOL Press : Comment le gouvernement peut-il sortir la tête haute de cette affaire ?
 

Philippe Braud : La tête haute, ce sera difficile. Mais il a à sa disposition trois stratégies. La première est l’affichage d’une grande indignation afin de montrer que Jérôme Cahuzac est une brebis galeuse, mais isolée, qui a trahi son propre camp. L’ancien ministre n’est donc plus de la famille et l’on aurait tort de s’en prendre à travers lui à la majorité tout entière. Encore faut-il pouvoir convaincre l’opinion que l’on ne savait pas, et que l’on n’a en rien protégé le délinquant.

Deuxième stratégie : assurer ses responsabilités politiques as usual. C’est le sens du voyage au Maroc du Président, maintenu sans changement. Quant au Premier ministre, il lui faut s’activer ostensiblement sur les dossiers de l’heure. Tout cela pour montrer que l’affaire Cahuzac n’est qu’un incident de parcours, même s’il est tout à fait fâcheux.

Troisième stratégie, attirer plus tard l’attention sur les affaires judiciaires qui touchent l’adversaire, notamment Nicolas Sarkozy. Ce sera la tâche des « seconds couteaux » car il s’agit de ne pas donner l’impression qu’au sommet de l’Etat on s’abaisse à exploiter de symétriques péripéties. Ceci étant, même si l’on sait combien l’opinion politique est volatile, l’affaire Cahuzac ne peut pas ne pas laisser des traces. Ne serait-ce qu’en affaiblissant la capacité de la majorité actuelle à exploiter les ennuis judiciaires de Nicolas Sarkozy.

JOL Press : Quels responsables politiques seraient à même de redorer l’image du gouvernement ?
 

Philippe Braud : Toute déflagration politique provoque des morts (ici Jérôme Cahuzac, dont la carrière politique est brisée) mais aussi des blessés plus ou moins graves. L’un d’eux est Pierre Moscovici qui doit se défendre d’avoir été au courant, ce qu’il fait avec vigueur mais dans des conditions difficiles. Or il pouvait constituer avec Manuel Valls un recours comme futur Premier ministre. La voie se dégage donc pour l’actuel ministre de l’Intérieur, toujours populaire.

De toute façon, François Hollande a intérêt à préférer un sabra qui lui devra sa carrière plutôt que d’offrir Matignon à des barons de sa génération, notamment Martine Aubry, un poids lourd susceptible à la fois d’entamer sa propre autorité présidentielle et d’effrayer les marchés à cause de son image trop à gauche. Il peut aussi chercher à surprendre en faisant émerger un outsider pour créer un « choc de surprise », ce qui, en matière de communication politique, n’est jamais à négliger.

JOL Press : Jean-Marc Ayrault a-t-il bien réagi, selon vous, à l’affaire ? Son discernement à l’égard de Jérôme Cahuzac est-il remis en cause ?
 

Philippe Braud : L’autorité de Jean-Marc Ayrault est si affaiblie que sa position dans l’affaire importe relativement peu. Il n’est plus qu’un Premier ministre en sursis. On l’accablera au moins autant s’il peut prouver qu’il n’a pas su, que s’il est démontré qu’il avait su. Dans la première hypothèse on voudra y voir la preuve qu’il n’a jamais été l’homme de la situation, ce qui colle dangereusement à son image.

JOL Press : Comment envisagez-vous la fin du mandat du chef de l’Etat, après un tel scandale ?
 

Philippe Braud : La Constitution permet à François Hollande de rester en place jusqu’à 2017 malgré tous les orages, et il dispose d’une majorité au Parlement. Le problème, c’est que celle-ci risque de se montrer de plus en plus indisciplinée tant que la cote de popularité présidentielle demeurera aussi basse. On hésite entre deux images : celle du calvaire à  gravir, et celle du calice à boire jusqu’à la lie, au cas où sa majorité décomposée le réduirait à n’être qu’une sorte de président de cohabitation. Mais pour lui, le salut peut venir de l’extérieur, c’est-à-dire du rétablissement de la stabilité et de la croissance dans la zone euro qui justifierait in fine ses choix économiques et financiers d’aujourd’hui. A cet égard, le temps peut lui offrir une chance.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du Département de sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (Woodrow Wilson School).

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