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Populisme et fascisme: deux dangers bien différents…

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Le député UMP des Yvelines, Henri Guaino, a déclaré dimanche 31 mars craindre que la France finisse « dans la grande dépression des années 30 », en plaidant pour que le gouvernement n’engage « pas des politiques restrictives ». « Il s’agit de savoir s’il est raisonnable ou totalement déraisonnable dans une période de récession qui confine à la déflation de faire des politiques restrictives », a-t-il expliqué lors de « 12/13 Dimanche » sur France 3.

Par ailleurs, le premier secrétaire du PS Harlem Désir avait demandé samedi 30 mars à Jean-Luc Mélenchon, de « retirer » ses « propos inacceptables », « vocabulaire des années 30 que l’on ne pensait plus entendre de la bouche d’un républicain »Jean-Luc Mélenchon avait en effet déclaré que le ministre français des Finances avait eu le « comportement de quelqu’un qui ne pense pas français, qui pense finance internationale » et certains y avaient vu une attaque antisémite.

Mais à quoi riment ces raccourcis ? Sont-ils opportuns ou maladroits ? La comparaison avec les années 30 est-elle si évidente ? Eléments de réponse avec l’historien Jean-Pierre Deschodt.

JOL Press : La montée de ce qu’on appelle aujourd’hui les populismes est-elle est comparable à ce qui s’est passé dans les années 30, dans un contexte similaire de crise économique et sociale ?
 

Jean-Pierre Deschodt : Comparaison n’est pas raison. Même si l’on peut croire confusément que l’histoire est un éternel recommencement, les choses, en fait, ne se reproduisent, jamais à l’identique : 1930 n’est pas 2013. Il n’est toutefois pas interdit de relever des similitudes entre des phénomènes sociaux et économiques qui, en temps de crise, contribuent à une radicalisation des formes politiques. D’un côté, on évoque la montée des fascismes au lendemain de la première guerre mondiale ; de l’autre, l’ascension des mouvements populistes est devenu aujourd’hui un sujet récurrent.

Peut-on soutenir l’idée que le populisme est un fascisme ? Le fait que le populisme est apparu antérieurement au fascisme pourrait le laisser penser. Au vrai, les populistes russes lui donnèrent, dès 1880, ses premiers éléments doctrinaux par le biais du collectivisme. Dix années plus tard, ce sont les populistes américains qui, tout en ignorant son origine marxisante, lui conférèrent un autre contenu : le protectionnisme. Le fascisme se distingue cependant de ce modèle américain par une triple orientation : l’établissement d’un parti unique contrôlant l’État ; la double promotion d’une religion politique, d’une part, et d’une révolution anthropologique (la promotion d’un « homme nouveau »), d’autre part. Le fascisme se conjugue donc au futur tandis que le populisme le fait au passé.

Si le populiste manifeste son mécontentement, c’est parce que « l’on ne peut pas continuer à vivre ainsi », que « cela ne peut pas durer plus longtemps comme ça. » Le sentiment de l’intolérable s’accompagne en outre de la mise en accusation d’un ennemi commun – l’Europe par exemple – dont il s’agit de neutraliser la capacité de nuisance. À l’accusation, le fascisme préfère pour sa part la délation qui épure. Et si l’on reprenait la fameuse distinction entre Révolte et Révolution, chère à Jacques Ellul, nous pourrions affirmer que le populisme est à la révolte ce que le fascisme est à la révolution.

JOL Press : Les forces de gouvernement de droite comme de gauche sont l’objet d’un désaveu croissant dans les urnes comme dans la rue. Peut-on établir un parallèle avec le désaveu qu’ont connu, dans les années 30, la droite comme la gauche modérées ?
 

Jean-Pierre Deschodt : Les situations de crise engendrent toujours des formes de tension multiples. Les deux immenses manifestations contre le mariage gay en témoignent ; à cela il faut ajouter la colère syndicale qui s’est déjà exprimée à l’occasion des nombreuses fermetures d’usine. L’arrêt des activités du site d’Amiens Nord de Goodyear a ainsi provoqué des violences qui ne sont pas sans rappeler le climat émotionnel des années 1930.

La violence était alors diffuse dans les partis comme dans les ligues – l’opposition irréductible entre fascisme et communisme se caractérisait par des assassinats dans les deux camps – ; pour reprendre la formule de Marx, elle apparaissait comme « l’accoucheuse de toute vieille société. » Sur le plan électoral, les thèmes de l’antiparlementarisme et de la dictature du prolétariat rencontraient un certain succès auprès des électeurs français, sans toutefois que l’une des deux lignes soit en mesure de l’emporter sur l’autre.

Ce comportement politique a désormais disparu, plus aucun parti politique ne revendiquant cet héritage que ce soit le Front national, le Parti socialiste ou le Parti communiste. Tous ont en effet biffé de leur programme ces « encombrantes références. »

JOL Press : « Tous pourris », « salopards », les périodes de crise sont-elles marquées par une radicalisation du vocabulaire en politique ?
 

Jean-Pierre Deschodt : La sémantique n’est jamais le fruit du hasard. Elle sert à mettre en place les grands axes du discours populiste dont l’argumentaire se développe à partir d’un triptyque semi-socialiste (« canal historique ») : anticapitaliste, anticorruption et antiélitiste. Ce dernier thème est une caractéristique de la rhétorique actuelle qui se développe chez les différents acteurs de la vie politique française.

L’antiélitisme permet toujours de dénoncer les nantis et leur richesse comme étant l’apanage du camp d’en face. C’est aussi vrai aujourd’hui qu’hier. Cependant, les objectifs des extrémistes de 1930 diffèrent de ceux des populistes actuels. Il ne s’agit plus désormais de faire un coup d’État ni la révolution, mais simplement de gagner les élections.

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Propos recueillis par Marine Tertrais avec Franck Guillory pour JOL Press

Jean-Pierre Deschodt est directeur du département d’histoire de l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures) et membre du Comité français des sciences historiques. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : La République xénophobe, (Lattès, 2001), Proudhon, L’ordre dans l’anarchie (Cujas, 2009), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore Démocratie et révolution (Cerf, 2012).

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