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«Réforme pénale: la France doit s’inspirer de l’Europe du Nord»

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JOL Press : La France a-t-elle des leçons à recevoir de ses voisins européens en matière de réforme pénale ?

Pierre-Victor Tournier : La réponse est « oui », même si l’expression « recevoir des leçons » est un peu forte.

Pour moi, il y a au moins quatre textes du Conseil de l’Europe qui devraient très fortement inspirer la France :

-La recommandation de 1999 sur la surpopulation des prisons et l’inflation carcérale – sujets qui sont tout à fait à l’ordre du jour aujourd’hui ;

-La recommandation de 2003 sur la libération conditionnelle, qui me paraît essentielle pour faire évoluer la situation des prisons ;

-La recommandation de 2006 sur les règles pénitentiaires européennes – dont on a beaucoup parlé lors du débat sur la loi pénitentiaire en 2009 – encore très loin d’être respectée en France ;

-Et la recommandation de 2010 sur la probation [le développement de peines alternatives à l’incarcération, comme la contrainte pénale communautaire].

Ces quatre textes ont été adoptés par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe, dont la France. Ce ne sont évidemment que des recommandations, qui ne les engagent pas politiquement. Mais ce que le Conseil de l’Europe recommande n’est jamais une abstraction : cela se base sur des expériences qui ont été développées dans d’autres pays européens, et dont le bilan est positif.

Si l’on prend le cas de la nouvelle probation, qui n’existe pas encore en France, mais existe en Angleterre ou en Suède depuis longtemps, celle-ci donne des résultats plutôt satisfaisants. Pour la libération conditionnelle, la France est l’un des pays qui l’utilise le moins, alors que le Conseil de l’Europe la recommande, donc là encore, comment ne pas s’inspirer d’un certain nombre d’expériences qui se sont avérées positives ?

La France n’a pas grand-chose à apprendre des anciens pays communistes, qui sont confrontés à des problèmes assez inextricables en matière de justice et de prison. Du côté de ses voisins du sud, que ce soit l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, la France n’a pas non plus grand-chose à apprendre. D’une certaine manière, ces pays sont dans la même situation que nous : surpopulation importante, durée de détention très longue… En revanche, comme je le dis souvent, « il faut regarder vers le haut », vers l’Europe du Nord. Il n’y a pas de pays modèle, mais ce sont ces pays qui ont inspiré les recommandations du Conseil de l’Europe, et de toute évidence, on a vraiment à apprendre d’eux.

JOL Press : Et en matière de respect de la dignité humaine, où se situe la France ?

P.-V. Tournier : Là encore il faut se référer aux pays dont j’ai parlé. Encore une fois, contrairement à ce qu’on peut entendre parfois sur les prisons françaises, la situation en France n’est pas la pire des situations. En revanche, il y a toujours mieux : dans un certain nombre de pays européens, le niveau de surpopulation par exemple est très inférieur à celui de la France.

Le principe de dignité de la personne passe d’abord, pour moi, par le principe de l’encellulement individuel, qui doit être une nécessité. Une des premières craintes des détenus est en effet de partager la nuit avec des gens qu’ils n’ont pas choisis. À condition bien sûr de ne pas laisser une personne seule dans sa cellule pendant 22 ou 23 heures par jour !

Quand on parle de dignité de la personne, plusieurs éléments viennent à l’esprit :

-Celui de la surpopulation, et donc le non-respect de l’encellulement individuel ;

-L’organisation même de la détention, c’est à dire : qu’est-ce qu’on y fait ? Les gens sont-ils condamnés à ne rien faire en détention ? Ou bien existe-t-il un certain nombre d’activités organisées pour eux ? Là encore, l’Allemagne ou les pays nordiques constituent des modèles en la matière.

-Et le troisième élément qui me vient à l’esprit, même si on y pense moins, c’est le principe de l’expression collective : dans une démocratie, qu’on soit détenu ou pas, il est logique d’organiser les choses de telle sorte que les gens puissent s’exprimer collectivement. Cette expression collective est organisée dans au moins une dizaine de pays européens. Et dans certains pays, comme le Danemark, il existe des textes législatifs très précis quant à l’organisation de la représentation des détenus entre eux. En France, il y a eu quelques tentatives sur le sujet, qui ont été très vite abandonnées.

JOL Press : Quand vous parlez d’expression collective, quelle forme concrète peut-elle adopter ?

P.-V. Tournier : L’expression collective repose sur ce que Norman Bishop [expert des conditions pénitentiaires au Conseil de l’Europe] appelle des « commissions consultatives de détenus ». Bien sûr, ce n’est pas aux détenus de diriger les prisons, et il n’a jamais été question dans le cadre du Conseil de l’Europe d’organiser des syndicats de détenus.

Mais quand il y a des problèmes importants d’organisation, les responsables pénitentiaires peuvent être amenés à consulter des détenus, désignés comme délégués. En Suède par exemple, lorsque le directeur d’un établissement pénitentiaire veut modifier quelque chose dans l’organisation de la détention, la loi l’oblige à consulter des représentants des détenus avant de prendre des décisions.

Quand on parle de cela en France, les principaux syndicats pénitentiaires montent tout de suite au créneau, par peur de voir des « caïds » diriger la prison, alors que toutes les expériences étrangères dans le domaine ont montré que le premier effet de l’organisation de cette expression collective avait pour énorme avantage de pacifier les conditions de détention, parce que les gens s’exprimaient, tout simplement.

Et à long terme, il est plus facile – et plus logique – de préparer la réinsertion en fonctionnant à l’intérieur de la prison comme la société fonctionne à l’extérieur, c’est-à-dire selon le principe démocratique.

Il y a cependant des spécificités françaises qui rendent les choses plus difficiles, en particulier le fait que la question pénitentiaire est beaucoup plus politisée que dans la plupart des autres pays européens, et le débat est généralement saturé par des positions radicales, qu’elles soient conservatrices (« il faut éliminer les délinquants ») ou libertaires (« il faut abolir les prisons »). Il est difficile, dans le paysage français, d’avoir des positions réformistes. L’importance du syndicalisme pénitentiaire est également une particularité française qui freine ces principes d’expression collective.

JOL Press : Comment la France peut-elle enfin lutter contre la surpopulation des prisons ?

P.-V. Tournier : Il faudrait une fois de plus appliquer des règles européennes, pour réduire le temps passé sous écrou. Le programme est relativement simple :

-Développer la libération conditionnelle ;

-Améliorer l’application du placement sous surveillance électronique. Il ne faut pas se contenter de poser simplement un bracelet électronique, mais la personne doit être également accompagnée socialement ;

-Réduire le nombre d’entrées en détention, en développant de nouvelles formes de probation, comme la contrainte pénale communautaire ;

-Et lutter efficacement contre la délinquance et la criminalité.

Toutes ces questions ne doivent cependant pas être laissées uniquement aux mains des magistrats et des juristes. Il est nécessaire que les ministères coopèrent étroitement, qu’il y ait au moins un accord entre le ministère de l’Intérieur et de la Justice pour développer une politique pénale. La coopération difficile entre ces deux ministères est pour moi l’un des obstacles majeurs pour avancer dans une perspective plus progressiste, plus réformiste.

JOL Press : L’incarcération n’est-elle cependant pas un moyen de protéger les victimes, comme les détenus ?

P.-V. Tournier : La prison est une nécessité pour la République, on ne peut pas se passer de la prison. Elle est protectrice, à condition que la dignité de la personne soit respectée, à condition que l’on n’incarcère pas n’importe qui, n’importe comment et pour une durée quelconque !

La prison est une protection, non seulement pour les victimes réelles, mais aussi potentielles. Et dans un certain nombre de cas, elle est protectrice pour les détenus. Je me souviens de quelqu’un qui avait mené une vie de « gangster », qui avait passé un certain nombre d’années en détention, et qui reconnaissait que, s’il n’avait pas été en prison, à l’heure actuelle, il serait sans doute mort. La prison lui a, d’une certaine façon, sauvé la vie.

Il faut enfin savoir que 60% des personnes qui sont incarcérées – une majorité – ne retournent pas en prison dans les cinq à six ans après leur libération. Quand on parle d’échec de la prison, il est relatif : il montre qu’il faut développer d’autres peines, mais il n’empêche que, même si on développe celles-ci, la prison reste une nécessité.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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