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Affaire Tapie-Lagarde: quelle issue?

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L’ « Affaire Tapie Lagarde »  réunit Madame Christine Lagarde, l’ancienne Ministre de l’Economie  qui a autorisé l’arbitrage  mettant fin aux contentieux concernant l’affaire Adidas  et M. Bernard Tapie la victime du Crédit Lyonnais. Maître Georges Berlioz s’interroge sur l’issue de  ce feuilleton à épisodes et rebondissements où le débat politique et journalistique fausse le scénario de la saga  en dénaturant les aspects juridiques du dossier.   

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La controverse concernant cet arbitrage a été en particulier alimentée par M. Jean Peyrelevade, ancien Président du Crédit Lyonnais,  qui prétend que cet arbitrage est une « gigantesque manipulation »  pour essayer de se dédouaner de sa responsabilité dans ce dossier.  Loin de terminer la bataille  judiciaire concernant l’épisode Adidas  du scandale du Crédit Lyonnais, la procédure arbitrale qui devait mettre fin au contentieux entre le Crédit Lyonnais et le groupe Bernard Tapie a donné naissance à une enquête parlementaire, un référé cour des comptes, des procédures devant les juridictions administratives, une enquête de la CJR et une information judiciaire.

La procédure d’arbitrage  est qualifiée d’affaire d’état au motif qu’il aurait été anormal de mettre fin à dix ans de contentieux multiples  en les regroupant et en les soumettant à un tribunal arbitral, composé de personnalités éminentes du monde judiciaire et juridique, avec une limitation de responsabilité.  Les pourfendeurs de cet arbitrage  ne se sont exprimés que  lorsque le tribunal arbitral  a prononcé l’indemnisation des époux Tapie. Ils  prétendent que l’usage d’un « tribunal d’ordre privé » poserait problème lorsqu’il ne s’agirait pas d’ « affaires privées », qu’il  serait  non seulement inapproprié mais même illégal  lorsque des fonds publics sont en cause. La bataille judiciaire qui depuis 1995 oppose le Groupe Bernard Tapie au Crédit Lyonnais et à la SDBO, ainsi qu’ensuite au CDR,  concernait le mandat de vente et de gestion concernant la vente des actions Adidas, qui était indiscutablement   une « affaire privée » .

Fonds publics, litiges privés

Le fait que des fonds publics sont en cause traduit les dérives de la gestion du Crédit Lyonnais, alors banque publique, qui l’a conduit à la quasi-faillite, forçant la création du CDR comme filiale du Crédit Lyonnais, puis d’un établissement public l’EPFR . Il ne s’agit pas d’un contentieux mettant en cause l’établissement public, mais d’un litige purement privé dans lequel des sociétés qui sont devenues sous filiales de l’EPFR sont intervenus. L’intervention de  CDR Créances et de CDR Participations , qui se sont substitué au Crédit Lyonnais et à la SDBO, est celle d’une « « bad bank »  chargée du passif  , elle est analogue à celle d’un assureur, assurant le paiement de l’indemnité pouvant être due, elle ne modifie en rien la nature du litige.    CDR Créances et CDR Participations , qui sont les  sociétés anonymes qui ont signé le compromis d’arbitrage, filiales d’une société anonyme, le CDR, avaient parfaitement la capacité pour se soumettre à l’arbitrage, et il importe peu qu’ils soit devenus  des sous filiales de l’EPFR.  

Un arbitrage international

Cette capacité était d’autant plus incontestable que l’arbitrage était un arbitrage international. Selon les termes de l’article 1504 du Code de procédure civile  » est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international » .  Le critère est un critère économique : est international l’arbitrage relatif à une opération comportant des transferts de biens, de services ou de monnaie à travers les frontières » . Cette définition a été rappelée par un arrêt du 26 janvier 2011  (Inserm vs Fondation Letten F Saugstad) où la Cour de Cassation a rappelé que l’internationalité de l’arbitrage fait appel à une définition économique et qu’il suffit que le litige soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul état. La vente d’actions d’une société allemande à des sociétés  offshore présentait incontestablement ce facteur d’internationalité, l’arbitrage était indiscutablement un arbitrage international et la légalité du recours à l’arbitrage ne souffre d’aucune incertitude.  Il faut d’ailleurs rappeler que ce compromis d’arbitrage a été autorisé par ordonnance du juge commissaire et qu’il a été homologué par jugement du même tribunal, par une décision ayant force de chose jugée qui s’oppose à toute contestation de sa légalité.

L’arrêt de la Cour de cassation n’était pas favorable à l’État

Dans cette  « affaire Tapie-Lagarde »  les critiques de la sentence arbitrale prétendent que le cours de la justice étatique , tel qu’il résultait de la décision de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 à la suite de laquelle la procédure arbitrale a été mise en place, était favorable à l’Etat. Cette appréciation relevait de l’incantation , du déni ou de l’erreur en 2007,  elle ne correspond pas à la réalité judiciaire. L’arrêt n’était pas « globalement défavorable aux prétentions du groupe Tapie »  comme il a été  prétendu dans le cadre de la controverse sur l’arbitrage,  il n’était que tactiquement favorable à la stratégie des avocats du Crédit Lyonnais qui était d’essayer d’épuiser les demandeurs en retardant sans cesse l’indemnisation.   La décision de la Cour de cassation ne remettait pas en question l’essentiel des   fautes du Crédit Lyonnais et de la SDBO qui avaient été stigmatisées par la Cour d’appel de Paris, comme elles l’avaient été par le Tribunal de Commerce de Paris . Les  fautes retenues par la Cour d’appel de Paris étaient de s’être porter  acquéreurs par personnes interposées des participations qu’ils étaient chargés de vendre, ensuite  d’avoir manqué  de loyauté envers le mandant qu’ils n’avaient pas informé des négociations en cours avec M. Louis-Dreyfus, acquéreur final, et enfin en ne lui ayant pas proposé des prêts qu’ils avaient octroyés aux cessionnaires des parts cédées par le groupe.  Ce n’est que la faute concernant l’absence de proposition de prêt qui a été écarté par la Cour de cassation.  

Le droit à agir des liquidateurs

En ce qui concerne les deux autres fautes la Cour de Cassation a infirmé les arrêts de la cour d’appel pour des raisons de technique juridique, parce que la responsabilité avait été fondée sur une base contractuelle sur la base des contrats de prêt offerts aux acquéreurs. Pour l’essentiel la Cour de Cassation donnait raison aux liquidateurs.  La Cour de cassation entérinait le droit à agir des liquidateurs de GBT S.N.C. et l’étendue des obligations de la SDBO en sa qualité de mandataire chargé de vendre la participation Adidas. La Cour de Cassation ne reprochait pas  à la Cour d’appel  d’avoir  constaté que  « les banques ont commis des fautes en se portant cessionnaires des parts (…) et en manquant à leur obligation d’informer loyalement leur mandant »  mais seulement d’avoir agi sur un fondement contractuel lié aux financements consentis aux sociétés cessionnaires. Comme il l’a été souligné à l’époque par des commentateurs juridiques, la Cour de Cassation  fournissait un guide aux liquidateurs pour l’utilisation devant la cour de renvoi des actions sur un fondement délictuel. Sur renvoi un tel fondement ouvrait la possibilité d’une indemnisation très nettement supérieure à l’indemnisation telle que la Cour d’appel l’avait fixé. Celle-ci correspondait au préjudice résultant de la seule absence d’une proposition de consentir des prêts au Groupe Bernard Tapie comme aux sociétés cessionnaires.

Le préjudice délictuel était manifestement supérieur avec un fondement contractuel, le préjudice moral en matière contractuelle était par ailleurs forcément symbolique.  Par ailleurs il était loisible aux liquidateurs devant la Cour d’appel de renvoi de demander qu’il soit fait droit à la demande d’annulation de la cession . En cas d’annulation de la cession , les actions ayant été revendues, la restitution devrait être faite par le paiement de la valeur des actions, ce qui se chiffraient en milliards d’euros.

Une improbable révision

Le recours à une procédure arbitrale portant seulement sur des demandes indemnitaires limitées était donc non seulement parfaitement légal, mais aussi manifestement opportun.  Dans la contestation de la sentence arbitrale, qui se développe sur la base d’arguments politiques et journalistiques,  un recours en révision est évoqué où le scénario se traduirait par le remboursement par M. Bernard Tapie de l’indemnisation allouée par le tribunal . Indépendamment de toute discussion sur les possibilités de révision, qui parait très improbable, cette  révision de la sentence arbitrale  remettrait la situation en l’état après la décision de la Cour de cassation.   La Cour d’appel de renvoi pourrait tout naturellement  éviter la question des niveaux d’indemnisation en choisissant l’annulation de la cession.  Ces milliards viendraient ainsi se rajouter au plus de quinze milliards d’euros qu’ont couté les « déboires » du Crédit Lyonnais.

 

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