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Ce malaise qui pèse sur la présidence de la République française

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Dans son Histoire des présidents de la République, de Louis Napoléon Bonaparte à François Hollande, fondée sur de nombreux témoignages exhumés de l’oubli ou totalement inédits, Maxime Tandonnet dresse des portraits fouillés et sans concession de chacun des 24 hommes qui se sont succédé à l’Élysée, leur caractère, leurs idées, leur entourage, leur attitude face aux crises, et leur œuvre politique, l’auteur souligne à quel point la personnalité de chacun d’eux, plus encore que les institutions, a pu influer sur le cours des événements qui ont forgé la France contemporaine.

Proche conseiller du président Nicolas Sarkozy à l’Élysée de 2007 à 2011, Maxime Tandonnet livre un témoignage édifiant sur cette période, sans état d’âme ni parti pris, et met à profit son expérience au cœur du pouvoir pour tenter de comprendre le malaise qui pèse sur la présidence de la République depuis une trentaine d’années. Entretien.

JOL Press : Après avoir étudié l’exercice du pouvoir de tous les présidents de la République française depuis Louis-Napoléon Bonaparte, quelles seraient selon vous les qualités indispensables pour être un bon président ?
 

Maxime Tandonnet : Cette question est en filigrane de mon livre ! Il n’y a pas de président idéal, cela dépend des époques et des pratiques institutionnelles. Cependant, par delà les différences de périodes, on retrouve certaines constantes qui font un bon président : le sens de l’histoire par lequel il donne une orientation à son mandat, le patriotisme et le dévouement au bien commun, l’intelligence politique qui lui permet de trouver un juste équilibre entre son rôle d’arbitre, au dessus-de la mêlée, et celui de guide, inspirateur d’une politique, ouvertement dans la Ve, discrètement sous les IIIe et IVe République.

Le président, en principe, inspire mais ne pilote pas la politique au quotidien, cette mission incombant au Premier ministre et aux Ministres. Un grand président doit donc avant tout savoir s’entourer de personnalités compétentes et loyales. « Le plus âpre et difficile métier du monde, à mon gré, c’est faire dignement le roi », écrit Montaigne dans les Essais (livre III). On peut en dire autant du président de la République. Cet équilibre optimal entre le rôle du chef de l’Etat, traçant les grandes orientations, et Premier ministre qui gouverne au quotidien, a été rarement atteint dans la Ve République, peut-être entre Giscard d’Estaing et Raymond Barre par exemple (1976-1980). 

JOL Press : Le palais de l’Elysée est-il adapté à l’exercice du pouvoir ou éloigne-t-il le président des préoccupations des Français ?
 

Maxime Tandonnet : La majorité des chefs de l’Etat, en particulier Poincaré, Auriol, de Gaulle, Pompidou, Mitterrand, ont affirmé qu’ils n’aimaient pas l’Elysée. Leurs épouses non plus, ne l’appréciaient pas, notamment Claude Pompidou. Le Palais, ancien hôtel particulier, n’est pas un lieu de travail adapté à l’exercice du pouvoir politique. On y manque de bureaux et de salles de réunions par exemple. Poincaré y voyait une prison, de Gaulle une caserne… Pourtant, il me semble que l’Elysée n’est pas si mal adapté à la présidence de la République.

Le rôle d’un chef de l’Etat n’est pas de gouverner le pays à l’aide d’une équipe nombreuse mais d’être un guide pour le pays. La présidence ne doit pas devenir une administration organisée et structurée, mais elle doit s’appuyer sur le Premier ministre et ses services – Matignon – et sur ses ministres et leurs administrations. L’Elysée est bien situé, au cœur de la capitale, à deux pas des ministères, lieu de prestige qui sied à l’image de guide de la France que doit donner le chef de l’Etat.

Quant à la relation personnelle, sentimentale entre les présidents et le Palais, elle est de nature ambigüe, passionnelle. Ils disent en général ne pas l’aimer mais ne se verraient nulle par ailleurs. Des salons somptueux ouvrant sur un parc immense, le lieu est si chargé d’histoire et de symboles que jamais la présidence ne déménagera…

Quant au risque de l’éloignement des préoccupations des Français, il n’a rien à voir avec les locaux, mais tient à la personnalité des chefs de l’Etat et leur sens de l’intérêt général l’emportant sur les intérêts particuliers et les groupes d’influence.

JOL Press : De tous les présidents de la République, lequel aura eu la plus grande influence sur la scène internationale ?
 

Maxime Tandonnet : C’est difficile à dire dans la mesure où la dimension internationale de la politique a pris une ampleur considérable au cours du dernier demi siècle. La fonction internationale a toujours été une mission fondamentale du chef de l’Etat. Des hommes comme Sadi Carnot et Félix Faure, à la fin du XIXe siècle, ont contribué à forger l’alliance franco russe. Emile Loubet au début du XXe a une part essentielle dans l’entente cordiale avec le Royaume-Uni et Vincent Auriol fut le premier président à se rendre aux Etats-Unis et y prononcer un discours en 1951.

Le rôle international des chefs de l’Etats de la Ve République a été considérable, véritables chefs de la diplomatie française. Le prestige du général de Gaulle, pour qui « la France était la lumière du monde »  fut immense sur la scène internationale, faisant de la France une puissance planétaire reconnue et respectée dont l’influence sur les affaires du monde était parfois décisive.

JOL Press : Vous parlez d’un malaise qui pèse sur la présidence de la République depuis une trentaine d’années. Quel est-il ?
 

Maxime Tandonnet : C’est un phénomène étrange et paradoxal que j’ai constaté en écrivant mon livre. Depuis Louis-napoléon Bonaparte jusqu’à, en gros, Valéry Giscard d’Estaing, les présidents de la République ont bénéficié d’une vraie popularité dans le pays, incarnant l’unité nationale. Seule ombre véritable à ce tableau, Jules Grévy en 1887, empêtré dans le scandale. Les présidents de la IIIe et de la IVe, malgré leur rôle important dans le choix du président du conseil (Premier ministre), et l’influence souvent réelle qu’ils exercent par la parole et le discours, ne sont pas considérés comme responsables des difficultés ou des malheurs du pays, la tâche de gouverner celui-ci incombant au président du Conseil.

[image:2,s]On les aime pour le symbole qu’ils représentent, sans pouvoir leur reprocher les échecs puisqu’ils n’en sont pas tenus pour les responsables directs. Le général de Gaulle en 1959 a profondément transformé la mission du chef de l’Etat qui devient un véritable souverain, fixant la politique du pays, doté de pouvoirs considérables et dont l’autorité a été renforcée en 1962, par l’élection au suffrage universel. Au début de la Ve République, ce nouveau chef de l’Etat tout puissant et responsable, est resté extrêmement populaire, sa cote de popularité, sous de Gaulle, mais aussi Pompidou, Giscard d’Estaing jusqu’à la fin des années 1970, ne descendant jamais en dessous des 60% de satisfaits.

A partir de 1980, une profonde cassure historique se produit. La montée du chômage, qui dépasse les deux millions, trois millions en 1995, les problèmes croissants d’insécurité, de banlieues, de logement, de pouvoir d’achat, entrainent une désaffection progressive des Français envers leurs présidents. Les sondages le montrent : sauf en période de cohabitation, où ils cèdent le pouvoir au Premier ministre, les présidents Mitterrand, Chirac, puis Sarkozy aujourd’hui Hollande, ont tous vu leur mandat affecté par une grave impopularité. Ils sont tenus pour responsables des malheurs du pays. On les considère toujours comme les souverains tout-puissants, mais inaptes à répondre efficacement aux attentes des Français. Le pire cas de figure pour eux…

JOL Press : Que devient le rôle du président de la République française à l’heure où François Hollande parle d’instaurer pour l’Europe « un gouvernement économique réuni chaque mois autour d’un président, pour débattre des principales décisions économiques et fiscales » ?
 

Maxime Tandonnet : La vérité, c’est que même si le chef de l’Etat a gardé son image de souverain tout puissant de la Ve République, ses véritables pouvoirs se sont fortement réduits depuis une trentaine d’années. Les transferts de souveraineté à Bruxelles, notamment en matière de politique monétaire avec l’euro ont à l’évidence réduit les outils de direction du pays dont il disposait. L’idée de gouvernement économique, à 27, sons la coordination de la Commission et le contrôle du Parlement européen va bien sûr dans ce sens. Il est curieux de constater d’ailleurs que les présidents depuis plusieurs mandats, ont plutôt favorisé ce mouvement qui va dans le sens de leur dépossession.

La décentralisation, c’est-à-dire le transfert des compétences aux collectivités locales, le renforcement considérable du rôle des juridictions, en particulier du Conseil constitutionnel dans l’élaboration du droit, ont affaibli les pouvoirs du président de la République. Nous vivons donc, je crois, dans l’illusion d’un chef de l’Etat toujours souverain. Encore faudrait-il l’admettre et le dire pour cesser de vivre dans le faux semblant. Dans une République où le président a perdu une partie de ses leviers de direction du pays, son avenir se joue beaucoup sur l’influence, le sens de l’histoire, l’exemplarité, l’autorité naturelle qu’il saura déployer.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Haut fonctionnaire et auteur de nombreux ouvrages historiques et d’actualité, Maxime Tandonnet a été l’un des proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur et à l’Élysée.

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