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Comment Henri Proglio a su contrôler les réseaux les plus influents

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Fils de maraîchers d’Antibes, Henri Proglio n’est pas né dans le sérail. Simple diplômé d’HEC en 1972, il gravit patiemment les échelons au sein de la Compagnie générale des eaux. À la tête de deux fleurons français, Veolia Environnement puis EDF, Proglio a gagné la confiance de Jacques Chirac, avant de se convertir au sarkozysme. Ancien sympathisant d’extrême droite, patron emblématique de la « présidence Fouquet’s », il aurait dû disparaître avec la République exemplaire promise par François Hollande. Mais sa parfaite connaissance des responsables socialistes, à commencer par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, lui a permis de sauver sa tête.

Raconter l’histoire hors normes de ce capitaine d’industrie, c’est aussi mettre au jour les collusions entre les partis politiques et le monde des affaires, dévoilant ainsi les coulisses peu reluisantes de la République. Un système où les petits arrangements entre amis suscitent la confusion des genres et les conflits d’intérêts. Un système au cœur de la crise morale que traverse le pays.

Extraits de Henri Proglio, une réussite bien française, de Pascale Tournier et Thierry Gadault (Editions du Moment)

6 mai 2007. Nicolas Sarkozy vient de remporter les élections présidentielles. Pour célébrer la victoire, Cécilia a organisé une réception au Fouquet’s. Le couple Balkany, Brice Hortefeux, François Fillon, Henri Guaino, mais aussi Johnny Hallyday, Jean Reno, sans oublier des patrons du CAC 40, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Patrick Kron[1], ni les « visiteurs du soir » comme l’incontournable Alain Minc. Bref, tous les « people » qui comptent sont là pour assister au sacre du nouvel homme fort de la droite. Henri Proglio a, lui aussi, reçu son bristol. Il le doit à Rachida Dati, que Dominique Strauss-Kahn lui a présentée avant qu’elle n’arrive au cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en 2002. Retiré chez lui, le P-DG de Veolia hésite pourtant à se rendre à la fête qui marquera d’un sceau indé- lébile le quinquennat à venir. Il n’a jamais aimé les mondanités. Encore moins le style ostentatoire qui caractérise le nouveau locataire de l’Élysée.

Plus fondamentalement, pour lui qui est catalogué chiraquien, cette soirée sonne comme un échec. S’afficher au Fouquet’s, c’est faire allégeance en public au nouveau chef de meute, reconnaître son pouvoir et, en creux, la défaite de Jacques Chirac, qui ne souhaitait pas la victoire de Nicolas Sarkozy. Mais Proglio n’a pas le choix. Son avenir et celui de son groupe dépendent des bonnes relations entretenues avec les pouvoirs en place.

En milieu de soirée, il finit par enfiler son costume sombre et nouer sa cravate en soie gris pâle. Arrivé devant la brasserie parisienne située sur l’avenue des Champs- Élysées, il fend la foule pour entrer. L’ambiance bat son plein. Alors que Nicolas Sarkozy esquisse un pas de danse devant sa compagne Cécilia, Henri Proglio, debout à côté de Rachida Dati, se fend d’un sourire. Il est adressé au Président. Quelques jours plus tard, le cliché est publié par Paris Match. Il marque son passage de l’ombre à la lumière, pour le grand public. Il illustre, surtout, avec éclat son revirement en faveur du nouvel élu, qui l’aidera à gravir une marche supplémentaire.

La partie n’était pourtant pas gagnée. Non seulement Henri Proglio a toujours été catalogué comme chiraquien, mais il n’a jamais aimé celui qu’il surnommait volontiers, selon plusieurs proches, « le nabot » ou « le nain », en fonction des circonstances. Curieux quand on sait que l’un des points communs entre les deux hommes est leur taille modeste qui, sur certains aspects, a façonné leur caractère… Quand, pendant la campagne, Cécilia Sarkozy a quitté le domicile conjugal pour rejoindre Richard Attias, Henri Proglio jubilait et répétait à qui voulait l’entendre : « Il est foutu ».

Par ailleurs, l’amitié d’Henri Proglio pour Alexandre Djouhri, qui lui a retiré bien des épines du pied, s’est révélée cette fois très embarrassante. Depuis le début de la décennie, Djouhri passe aux yeux de l’establishment pour le vrai patron de Veolia et n’est pas du tout en cour auprès de Nicolas Sarkozy. D’autant que l’ombre de Djouhri rôde dans la fameuse affaire Clearstream. Celle qui va offrir le spectacle d’un combat fratricide entre les héritiers de la droite. Celle qui était surtout censée empêcher Sarkozy d’arriver au pouvoir suprême.

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Pascale Tournier, journaliste politique indépendante (L’Express, Le Parisien Magazine), a publié Dans les cuisines de la République, enquête sur les tables du pouvoir (2010) et La Reine mère (2011), une biographie de Bernadette Chirac.

Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, L’Expansion et Le Nouvel Économiste. Il a publié Arnaud Lagardère : l’insolent (2006), EADS : la guerre des gangs (2008) et Areva mon amour. Enquête sur un pouvoir qui les rend fous (2012).

[1] Patrick Kron est le P-DG du groupe Alstom, spécialisé dans le transport ferroviaire et l’énergie.

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