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Comment Louis Napoléon Bonaparte s’est installé à l’Elysée

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Cette Histoire des présidents de la République, de Louis Napoléon Bonaparte à François Hollande, fondée sur de nombreux témoignages exhumés de l’oubli ou totalement inédits, pourfend l’image traditionnelle qui oppose le chef de l’État effacé des IIIe et IVe Républiques au monarque républicain tout puissant de la Ve. Les premiers, dans la discrétion et la modestie, ont parfois exercé une influence infiniment plus profonde que celle qui leur est généralement prêtée.

Les seconds, en dehors des heures de gloire du début du régime créé par le général de Gaulle, ne sont pas parvenus à rompre avec la malédiction de l’impuissance publique et du déclin de la France dans le monde, malgré des velléités ponctuelles de réformes. Dressant des portraits fouillés et sans concession de chacun des 24 hommes qui se sont succédé à l’Élysée, leur caractère, leurs idées, leur entourage, leur attitude face aux crises, et leur œuvre politique, l’auteur souligne à quel point la personnalité de chacun d’eux, plus encore que les institutions, a pu influer sur le cours des événements qui ont forgé la France contemporaine.

Proche conseiller du président Nicolas Sarkozy à l’Élysée de 2007 à 2011, Maxime Tandonnet livre un témoignage édifiant sur cette période, sans état d’âme ni parti pris, et met à profit son expérience au cœur du pouvoir pour tenter de comprendre le malaise qui pèse sur la présidence de la République depuis une trentaine d’années.

Extraits d’Histoire des présidents de la République, de Maxime Tandonnet (Librairie Académique Perrin)

Le prince se présente à l’élection présidentielle du 10 décembre 1848 poussé par la certitude de son destin national. « Il se fiait à son étoile ; il se croyait fermement l’homme de la destinée », constate Alexis de Tocqueville. Méprisé par les élites mais porté par une vague de popularité, le prince remporte une écrasante victoire lors du premier scrutin présidentiel au suffrage universel de l’histoire de France. Il obtient 5,5 millions de voix sur un corps électoral de 9 millions. Cavaignac, chef du gouvernement provisoire, bourreau de la révolte parisienne de juin 1848, au départ favori, arrive loin derrière avec 1,5 million de voix. Le mouvement social mené par Ledru-Rollin réunissant 300 000 suffrages est laminé.

Lamartine, à l’origine de l’élection du président de la République par le peuple, s’est effondré, obtenant le score humiliant de 20 000 voix. « Le pays était affamé d’ordre », commente Freycinet. « C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité[1] », estime Guizot, ancien président du Conseil, au lendemain du vote.

Dans Napoléon, le petit, Victor Hugo raconte la cérémonie d’intronisation qui se déroule le 23 décembre 1848 à l’Assemblée nationale :

« Il était environ quatre heures du soir ; la nuit tombait, l’immense salle de l’Assemblée était à demi plongée dans l’ombre : on vit alors entrer un homme, jeune encore, vêtu de noir, ayant sur l’habit la plaque et le grand cordon de la Légion d’honneur. Toutes les têtes se tournèrent vers cet homme. Un visage blême, un nez gros et long, des moustaches, une mèche frisée sur un front étroit, l’oeil petit et sans clarté, l’attitude timide et inquiète […]. Son entrée produisit une émotion profonde […]. C’est l’avenir qui entrait […]. Un avenir inconnu. »

[image:2,s]Le président de l’Assemblée lit tout d’abord la formule : « En présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs qui me sont imposés par la Constitution. » Le prince déclare : « Je le jure[2] », avant de prononcer un bref discours devant une assemblée « froide », selon Odilon Barrot. Puis un long cortège se rend du Palais-Bourbon à l’Élysée, au milieu de la foule qui s’écrie : « Vive Napoléon, vive la République ! »

L’installation matérielle du nouveau chef de l’État est l’une des premières tâches des meneurs de l’Assemblée, parmi lesquels Adolphe Thiers exerce une influence dominante. Ce dernier, chez qui dîne Louis Napoléon le soir de son élection, prône la plus grande simplicité. Il lui conseille de renoncer à l’uniforme, mais « de porter l’habit noir », d’éviter de se doter d’aides de camp, mais de recruter « quelques attachés de cabinet qui feront office d’officiers d’ordonnance ».

Félicie Dosne, influente belle-sœur de Thiers, raconte dans ses mémoires comment fut décidé le choix de la résidence présidentielle : « Pour l’habitation, on penche pour l’Élysée, ancienne demeure impériale. Ce n’est pas le palais des Tuileries. C’est un juste milieu entre une maison bourgeoise et l’habitation royale[3]. » L’Élysée national, ainsi qu’on l’appelle alors, se présente comme un hôtel particulier, à deux pas de la célèbre avenue, dans le quartier le plus mondain de la capitale, et non comme un lieu de vie et de travail, pourvu de bureaux et de salles de réunion, adapté aux besoins d’un chef de l’État. Construit par le duc d’Évreux en 1718, racheté par Mme de Pompadour en 1753, il devint résidence d’État sous le Premier Empire et fut le théâtre de l’abdication de Napoléon. Le Palais est constitué d’une demi-douzaine de salons prestigieux au rez-de-chaussée, donnant sur un immense parc qui lui-même ouvre sur les Champs-Élysées. Le premier étage est alors constitué d’appartements privés, dont celui aménagé par l’empereur pour son fils, incluant le fameux Salon doré au centre de l’édifice, dont Charles de Gaulle fera son bureau.

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Haut fonctionnaire et auteur de nombreux ouvrages historiques et d’actualité, Maxime Tandonnet a été l’un des proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur et à l’Élysée.

[1] François Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Michel Lévy, 1857- 1868.

[2] Louis Napoléon Bonaparte est le seul chef d’État ayant, en vertu de la Constitution de 1848, prêté serment sur le modèle américain.

[3] Félicie Dosne, Mémoires de Mme Dosne, l’égérie de M. Thiers, Plon, 1928.

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