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Des prisons ouvertes pour lutter contre la récidive

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JOL Press : Pourquoi avez-vous créé l’association « Les Prisons du Cœur » ?

Edith Bizot : L’association a été créée en janvier 2010, par Pierre Botton [condamné dans les années 90 à près de deux ans de prison], à l’occasion de pourparlers avec Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux de l’époque, afin de mettre en place un dispositif de lutte contre le choc carcéral, c’est-à-dire d’améliorer l’accueil des détenus dès les premiers contacts avec la prison.

De mon côté, j’ai réussi à obtenir les signatures de 331 députés pour instaurer une loi sur la transparence dans les prisons en France, et instituer deux journées par an pendant lesquelles les parlementaires et les journalistes pourront entrer dans les établissements pénitentiaires. Et je m’occupe également d’actions au quotidien, que l’on voit un peu moins, mais qui sont tout aussi importantes.

JOL Press : Quelles sont justement ces actions concrètes de lutte contre le choc carcéral ?

Edith Bizot : Il faut d’abord rappeler que le dispositif de lutte contre le choc carcéral s’adresse toujours à des établissements où les détenus sont condamnés à des peines de moins de cinq ans, et qui n’ont pas commis de crimes de sexe ou de sang. On part du principe qu’on lutte contre la récidive en s’occupant des détenus dès la première seconde de prison, d’enfermement. Notre but, c’est de s’assurer que ces gens-là ne sont pas traités comme des bêtes.

Par exemple, lorsque le détenu rentre en prison, dès sa sortie du camion, il se retrouve devant un grand panneau des droits de l’Homme : c’est symboliquement très important de rappeler que les droits de l’Homme existent aussi en prison, pour les détenus comme pour les surveillants et tous les gens qui cohabitent entre ces murs.

Ensuite, on a fait des aménagements des locaux : des fresques ont été peintes sur les murs pour essayer de capter l’attention des détenus qui viennent d’arriver. Cela peut paraître insignifiant, mais on s’est rendus compte que ces fresques restaient absolument intactes, elles n’étaient jamais dégradées.

On projette également un petit film dès leur entrée, qui est fondamental parce qu’il explique à la personne qui vient d’arriver toute la procédure de mise sous écrou : les détenus qui arrivent ne sont en effet pas supposés tout savoir sur le déroulement de la procédure. Le film explique donc de manière pédagogique plusieurs étapes de la procédure : la prise des empreintes, la fouille…

Concernant la fouille, le film précise par exemple que les détenus ne sont pas censés être touchés (à part les cheveux), qu’il est préférable de donner ses vêtements les plus intimes d’abord, puisqu’ils seront restitués en premier au détenu… C’est une façon de protéger leur intimité. Le film est sans son, très imagé, ce qui permet à tous les détenus, quelle que soit leur origine sociale, de comprendre.

On met aussi en place un local-téléphone, grâce auquel le détenu peut prévenir sa famille de l’endroit où il est, leur expliquer comment marche le parloir, leur demander d’apporter des vêtements propres etc. Cela permet à la famille d’entendre sa voix, bien sûr, et d’être tenue au courant de la procédure.

JOL Press : Où en est le projet de construire un établissement pénitentiaire « ouvert », à St-Julien-sur-Suran dans le Jura ?

Edith Bizot : Le principe de cet établissement pénitentiaire ouvert est en fait celui d’un centre de probation « à l’envers » : c’est-à-dire que les détenus iraient dans ce centre pendant la journée, ils seraient donc placés sous main de justice, et pourraient rentrer chez eux le soir, afin de maintenir le lien social et familial. Nous pourrions aussi ouvrir l’établissement à des gens en situation de précarité sociale, s’ils acceptent de suivre les mêmes contrats dans le centre afin de se « remettre à flots ». À condition bien entendu qu’ils soient capables de vivre de cette manière-là.

Les détenus seront donc là la journée, pour apprendre, travailler, et être en formation. Avant de se mettre à travailler, ils auront une sorte de programme d’acculturation, encadré par des médecins, des psychologues, des psychiatres, des éducateurs et des tuteurs. Et si tout se passe bien, lorsqu’ils sortiront de là, ils seront prêts à être employés par des gens de l’extérieur.

Cela serait une opportunité que le juge d’application des peines pourrait appliquer. Vous savez, de nombreux juges d’application des peines se plaignent de ne pas avoir assez d’alternatives à l’emprisonnement : cela serait une possibilité supplémentaire, pour un public bien défini (condamné à des courtes peines). Mais attention, il ne faut pas croire que la prison ouverte soit plus facile que d’autres : si l’un des détenus quittait le centre avant sa remise en liberté, cela serait considéré comme une évasion, et toute la procédure serait applicable comme dans un autre établissement.

En revanche, on leur donne une vraie opportunité en les aidant à se remettre sur pieds plus rapidement, et à sortir un peu de ce système de prison où le temps quotidien n’est pas bien utilisé, et où l’on voit beaucoup de détenus sortir de prison bien plus dégradés qu’ils ne l’étaient en arrivant.

Pour l’instant, la garde des Sceaux à le dossier sous le coude, mais nous n’avons pas encore de date d’ouverture de cette établissement.

JOL Press : Existe-t-il d’autres initiatives de ce genre en Europe ?

Edith Bizot : Oui, il y a beaucoup de prisons ouvertes en Europe. Il en existe même déjà une en France, à Casabianda, en Corse, dans laquelle se trouvent des gens ayant commis des agressions sexuelles.

Cela se passe plutôt bien dans cette prison. Vous n’avez jamais entendu parler d’évasion ou de problèmes quelconques : inutile de vous dire que s’il y avait le moindre problème, cela se saurait très vite ! Et ce système, qui a fait ses preuves, existe dans beaucoup de pays nordiques et en Suisse.

Évidemment, nous n’avons pas travaillé tous seuls à envisager ce centre de probation : on s’est entourés de beaucoup de personnes compétentes, parmi lesquels Paul-Roger Gontard, qui est un spécialiste des prisons ouvertes. Mais aussi des juges d’application des peines, des magistrats, des SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation], des psychiatres… Tout l’environnement habituel de détention, en définitive. C’est vrai que c’est un projet qui nous tient extrêmement à cœur et qu’on espère bien voir aboutir bientôt.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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