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Effectifs: la Défense amputée au profit de l’Éducation nationale

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Depuis la parution du dernier Livre blanc en 2008, « j’ai considéré que l’état du monde appelait de nouvelles évolutions stratégiques », a déclaré le président de la République. Initiée par lettre de mission du président de la République, le 13 juillet 2012, la réflexion sur un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, entamée le 27 juillet 2012, est arrivée à son terme avec la publication du document définitif, le 29 avril 2013.

Depuis sa première publication, en 1972, le Livre Blanc a pour objectif de définir la politique de défense et de sécurité de la France au regard de la situation dans le monde. Décryptage avec l’Amiral Alain Coldefy, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de la politique et stratégie de défense, de la stratégie maritime et de l’industrie de défense.

JOL Press : Fallait-il un nouveau Livre blanc ?
 

Alain Coldefy : Le Livre blanc a pour objet de définir, en fonction de la politique étrangère de la France et de l’environnement stratégique, le modèle d’armée dont on a besoin et de trouver le moyen de financer ce modèle d’armée.  Il cherche aussi à décrypter les menaces présentes dans l’environnement, les crises, les risques qui pèsent sur le pays.

Nous avons eu quatre livres blancs : en 72, pendant la Guerre froide, en 94 après la Guerre froide et la chute du Mur, en 2008 avec l’évolution d’un monde plus globalisé et l’apparition du terrorisme et enfin 2013 avec la grande crise mondiale. Pour la première fois, on a fait rentrer l’économie dans la réflexion générale. Quel budget la France peut-elle consacrer à sa Défense ? Qu’est-ce que l’économie de la Défense ?

Il faut savoir que le domaine de la Défense est un domaine exportateur qui fait de l’excédent commercial, qui produit en France et qui pour 1 euro investi en rapporte 2 ou 3 selon les domaines : l’industrie terrestre, navale, aérienne, spatiale, l’industrie des armements, de l’électronique de défense… Ces industries peuvent avoir des retombées civiles aussi : les éoliennes et les hydroliennes off-shore, par exemple, viennent de la direction des constructions navales militaires.

Pour la première fois, cette dimension purement économique a été prise en compte alors qu’en France notre production industrielle est passée à 12% de notre richesse nationale, quand elle correspond à 25% en Allemagne.

JOL Press : La réduction des effectifs – 24 000 postes non renouvelés d’ici 2019 – est-elle dans la continuité du précédent Livre blanc ou y a-t-il un risque de voir les capacités opérationnelles de l’armée française affectées ?
 

Alain Coldefy : Comment ça se passe quand on veut réduire un budget ? Le budget de la Défense est équilibré entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement. La Défense représente la part la plus importante d’investissement de l’Etat, entre 10 et 13 milliards par an. Quand on veut réduire le budget, on réduit, la part d’investissement mais aussi la part de fonctionnement, comme dans toute entreprise. Dans la part de fonctionnement, il y a une partie rémunérations et charges sociales et une partie réservée aux dépenses habituelles pour vivre. On va donc donner un coup, sur l’investissement, sur le fonctionnement et on essaie de comprimer les rémunérations et charges sociales.

Il se trouve qu’on le fait à chaque fois mais on n’arrive pas à contrôler cette dépense qui a tendance, non pas à réduire mais à conserver un niveau constant. La seule solution pour la réduire c’est de réduire le nombre d’emplois.

JOL Press : Pour quelles raisons ?
 

Alain Coldefy : La plupart des militaires sont hautement qualifiés et la moitié d’entre eux sont sous contrat à durée déterminée, car on a besoin de jeunes. On a donc une masse sur laquelle on peut jouer si on veut réduire les coûts. On a réduit de façon drastique les effectifs, dans le Livre blanc précédent, près de 54 000 hommes. Cette décision a amené les armées à se réorganiser et à ne plus faire d’aménagement du territoire (un régiment faisait vivre une ville moyenne).

Aujourd’hui, avec la promesse de 60 000 postes dans l’Education nationale, il a bien fallu en supprimer ailleurs. Tous les ministères sont mis à contribution mais les armées sont les plus touchées par ces coupes. Sans cette promesse de François Hollande, il n’y avait aucune raison de réduire les effectifs de 24 000 postes. Y a-t-il un risque de voir les capacités opérationnelles de l’armée française affectées ? La réponse est oui.

JOL Press : L’armée de l’Air devrait perdre deux escadrons – 50 appareils -, est-ce cohérent compte tenu du rôle tenu par celle-ci dans les opérations extérieures ? Pourquoi préfère-t-on épargner la Marine ?
 

Alain Coldefy : Ce n’est pas comme cela qu’il faut voir les choses. Il faut regarder là où on peut faire des homothéties : si vous avez 400 chars, vous pouvez réduire à 350, quand vous avez 130 000 hommes, vous pouvez réduire à 120 000 mais quand vous avez un porte-avion, soit vous vous en séparez soit vous le gardez. S’en séparer serait une question politique. Tout ce que l’on peut réduire dans la Marine sera touché : le nombre de frégates, par exemple, a été réduit par trois depuis la guerre du Golfe.

On a l’impression que les efforts sont faits sur que les effectifs de l’armée de Terre et sur l’armée de l’Air, c’est qu’on ne peut pas forcément le faire ailleurs. On ne privilégie pas la Marine.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

L’Amiral Alain Coldefy est impliqué dans les cercles de la réflexion stratégique, en particulier en tant que Directeur de la Revue Défense Nationale et Vice-Président de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Il est par ailleurs membre de l’Académie de Marine.

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