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Forme – contre-forme dans les ruelles de Chefchaouen au Maroc

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Connaissez-vous le petit village de Chefchaouen ? C’est une petite bourgade au Maroc accrochée sur l’Atlas.

Un vrai chou à la crème, un vrai décor de Disneyland. Les maisons sont dégrossies à la chaux, moutonneuses, peinte en mauve, lilas, bleu ciel, blanc crème ou rose. Elles sont reliées entre elles par des câbles en tout genre, toutes fonctions, des bougainvilliers ou des vignes grimpantes. Les ruelles serpentent le long de la montagne non sans un certain charme influencé par la Méditerranée. Une ville cycladique en plein Atlas !

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Autrefois rurale et authentique, la ville est devenue ultra touristique.

La lumière pure, la matière des murs, l’authenticité intemporelle des rues en font cependant un lieu idéal pour le photographe « pictorialiste » que je suis.

Cette photo montre l’angle d’une place d’où s’enfuit une ruelle.

Décors pittoresques de Chefchaouen

Des « décors », il n’en manque pas à Chefchaouen mais celui-ci a particulièrement retenu mon œil. En effet, le rythme apporté par les ombres portées du toit, des câbles, des panneaux, le renfoncement bleu des fenêtres rectangulaires ou de la porte arrondie sur la façade décrépie qui accroche la lumière, résonnaient dans mon viseur comme une évidence graphique. Il ne manquait plus qu’à ce tempo d’ombres et de lumière qu’un accident.

L’ « accident » est littéralement ce qui arrive, ce qui se produit. Originellement, il ne s’agit pas forcément d’un malheur. L’accident en photo est, pour moi, l’événement, une personne, un groupe, un animal… qui va apporter de la vie à la composition dans le décor.

Attendre l’accident c’est attendre les comédiens qui vont se positionner sur la scène du théâtre.

Forme / Contre-forme

Je fais deux pas à gauche, un en arrière, je me baisse légèrement, la découpe forme/contre-forme est parfaite ! Je suis en position, c’est à dire à l’endroit ou dans mon viseur le rythme de la composition est en place : combinaison des diagonales du toits, rapport masse noire/masse claire, hauteur du point de vue, vide du ciel etc.

Une fois mes réglages fait, et là, en l’occurrence, j’ai le temps de les préparer, je suis prêt à accueillir « l’accident ».

Je me souviens avoir attendu plus d’un quart d’heure sous le cagnard avant d’apercevoir ce personnage, mais c’est quoi un quart d’heure pour une photo qui restera pour le restant des âges…

Gâchette sensible

J’ai la gâchette sensible comme des ISO, et j’ai d’ailleurs failli shooté un groupe de vieux touristes qui sortaient de par la ruelle. Le soleil était avec moi, l’ombre forte et portée de l’inconnu venant de la ruelle m’avertissait de sa venue avant qu’il ne m’aperçoive. J’avais donc une carte en plus. C’est ça un photographe, il sait jouer sans cesse de la lumière.

Il y a toujours un vent frais montagnard à Chaouen qui vous fait supporter le soleil hurlant de l’Atlas. Le quart d’heure passa vite et arriva cette femme authentique.

Authentique car manifestement pas touriste, elle est d’ici depuis longtemps, depuis toujours ! Son drapé est épais et lourd jusqu’à avoir quelque chose de statuaire. A travers le peu d’espace qui lui restait pour le regard, elle m’aperçut tout de suite et, péniblement, souleva son bras en-feuilleté du lin lourd pour cacher son visage que je ne voyais déjà pas.

J’avoue, la photo est volée, mais au final je n’aurai d’elle que la silhouette d’une tanagra.

Un pas. Elle a fait un pas en trop ou j’ai clické un pas trop tard. L’assise de ses pieds est sortie de mon cadre. Je n’aime pas ça pour la composition. Il fallait faire un choix, agir vite sans avoir droit à l’erreur. Un pas avant, elle cachait les fenêtres et surtout elle se fondait avec le mur en pleine lumière. A mon clic, peut-être est elle un peu trop sortie de l’image mais au moins sa silhouette se découpe parmi l’angle du mur dans l’ombre. Fort contraste de lumière et de Temps.

On ne peut pas tout avoir dans ce genre de condition ou du moins quand on a tout, c’est ce que j’appelle The Photo !

Si j’avais pu guider mon personnage, ce qui est absolument impensable ici, je ne fais pas de « mode », je l’aurai placé dans l’angle de lumière, juste derrière elle, de façon à l’avoir cadrée de plein pied et devant le mur sombre.

Il en fut autrement mais j’aime par ailleurs cette photo.

J’évoquai plus haut le terme de photographie « pictorialiste » sans en dire davantage.

Il s’agit pour moi d’un style photographique dont les éléments d’intérêts sont communs à la peinture et à ce qui est propre à la peinture, Forme, couleur, surface.

(un support aussi : feuille à grain, toile…pourraient artificiellement donner un aspect pictorialiste). Il ne s’agit pas de cela ici. Mes recherches portent plutôt sur l’harmonie des couleurs, l’extrapolation de celle-ci par la saturation, l’effet de matière, ici la chaux, la brique, le voile et par le parti pris d’un grain évident. En somme par une interprétation de la réalité plus proche des codes de la peinture que de ceux de la photographie qui se veulent en général neutres et naturels.

J’ai découvert le traitement croisé en bain C41 dans le début des années 2000. Il a été abondamment utilisé pour la photographie de mode dans les années 70 et début 80. le procédé a tout de suite répondu à mes attentes « pictorialiste » en photographie et a remplacé lors de tous mes voyages mes  tubes de gouache et mes crayons. Il n’a, à ma connaissance, pas été exploité pour la photo de reportage et c’est ce qui fait en particulier «  ma touche ».

Qu’est ce que le traitement croisé en bain C41 ?

Vous connaissez la différence entre les pellicules diapositives et négatives. L’image diapositive a les couleurs réelles et se regarde directement avec un projecteur sans transfert nécessaire. Le négatif, lui, a ses couleurs inversées selon la loi des complémentaires et est destiné à être tiré sur une surface photosensible (papier photo) qui lui donnera son image positive ( couleur réelle).

Chaque type de pellicule est traité après exposition, dans un bain qui lui est approprié. Le traitement croisé consiste donc à développer un film diapositif dans un bain qui ne lui est pas destiné à l’origine, le bain C41. Il s’agit donc d’un procédé chimique qui agit sur le film.

Que se passe t-il ?

Le film diapo qui, normalement, est positif devient un négatif. Vous avez du remarquer qu’habituellement les négatifs sont teintés en orange, ce qui permet au tirage d’avoir des couleurs réels. Ce filtrage orange n’existe pas lors d’un traitement croisé. Ainsi les couleurs se retrouvent hyper saturées, c’est à dire loin du gris et proche de leur pleine puissance.

Il s’ensuit également une accentuation des contrastes. Les parties ombrées vont vite partir dans des noirs purs et sans détails. L’astuce pour bien exposer le traitement croisé est de diviser par deux la sensibilité du film lors des réglages d’ISO pour la cellule. Par exemple, pour un film Sensia Fuji 100ISO, indiquez à votre appareil que c’est du 50ISO ou bien, surexposez légèrement le film lors de la prise de vue. Sinon les parties sombres de votre image seront noires totales et sans reliefs. Cependant ces masses noires peuvent participer à un effet graphique très fort.

Dans cette image, en effet, exposée normalement à Dia 8 et un temps de pose de 1/250 pour un film 100 ISO, on perd des détails dans les ombres fortes des fenêtres ou de l’angle du mur à droite, mais en même temps ces noirs renforcent l’éclat  de la lumière.

Souvent lors du traitement croisé les ombres basculent dans des couleurs froides fortes comme des bleus nuit, des verts denses…

Si, au contraire, vous voulez des détails dans les parties sombres alors pointez votre cellule vers la zone la plus sombre de votre image pour évaluer vos réglages en fonction de cette zone-ci. Par contre, il s’en suivra une surexposition des parties claires, le ciel peut devenir blanc par exemple. C’est un choix à faire.

Enfin, chaque type de pellicule réagit différemment au traitement croisé. L’Ektachrome de Kodak avait une tendance à saturer les couleurs sans offrir de dominantes. Les film Fuji, au contraire, ont tendance à donner une dominante rouge ou dorée. Parfois cette dominante est poussée à l’extrême jusqu’à aller vers un monochrome. Malheureusement les films Kodak n’existent plus, je me vois contraint d’utiliser des diapositives Fujifilm. Je recommanderai alors la Velvia100.

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