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Henri Proglio, entre conflits d’intérêts et petits arrangements entre amis

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Fils de maraîchers d’Antibes, Henri Proglio n’est pas né dans le sérail. Diplômé d’HEC en 1972, il gravit patiemment les échelons au sein de la Compagnie générale des eaux. À la tête de deux fleurons français, Veolia Environnement puis EDF, Henri Proglio a gagné la confiance de Jacques Chirac, avant de se convertir au sarkozysme. Ancien sympathisant d’extrême-droite, patron emblématique du précédent quinquennat, il aurait dû disparaître avec la République exemplaire promise par François Hollande. Mais sa parfaite connaissance des responsables socialistes – à commencer par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault – lui a permis de sauver sa tête.

Raconter l’histoire hors normes de ce capitaine d’industrie, c’est aussi mettre au jour les collusions entre les partis politiques et le monde des affaires, dévoilant ainsi les coulisses peu reluisantes de la République. Un système où les petits arrangements entre amis suscitent la confusion des genres et les conflits d’intérêts. Un système au cœur de la crise morale que traverse le pays.

Extraits de Henri Proglio, une réussite bien française, de Pascale Tournier et Thierry Gadault (Editions du Moment)

Jeudi 14 février 2013. Dix mois après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, c’est un Henri Proglio[1] au sommet de sa forme qui se présente pour dévoiler à la presse les comptes 2012 d’EDF. Pour une fois, son visage que les années ont taillé à la serpe renvoie une certaine rondeur, une bonhomie inhabituelle chez cet homme souvent cassant. Comme si ce changement physique révélait une forme de soulagement psychologique pour ce dirigeant d’entreprise publique qui a bien cru que sa dernière heure était arrivée avec le retour des socialistes au pouvoir. Car Henri Proglio est un survivant. Au même titre que Bernard Squarcini, le très sarkozyste patron de la DCRI (la Direction centrale du renseignement intérieur), le président d’EDF était un homme à abattre pour les nouveaux tenants du pouvoir. Le premier est tombé[2], le second est toujours en place, déjouant tous les pronostics de l’establishment.

Depuis la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, Henri Proglio, alors à la tête de Veolia Environnement, la société de services aux collectivités locales, incarne les excès de la présidence bling-bling. Lui, le dernier des fidèles chiraquiens, est devenu l’homme de Sarkozy. L’emblème des turpitudes du précédent quinquennat. Sa participation remarquée à la soirée du Fouquet’s aux côtés de son amie Rachida Dati, la future ministre de la Justice, sonne comme son péché originel. Et, pendant les cinq longues années qui ont suivi, Henri Proglio aggrave son cas.

En 2009, le chef de l’État le propulse à la tête d’EDF tout en lui permettant de demeurer le président de Veolia Environnement, provoquant polémiques et scandales : sa double casquette et son double salaire, sa guerre contre Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva, pour le contrôle des ventes des centrales nucléaires à l’étranger, son amitié avec le très mystérieux Alexandre Djouhri, l’homme de l’ombre de la chiraquie passé au service de Nicolas Sarkozy, sa tentative de putsch contre Antoine Frérot, le successeur qu’il s’est choisi pour diriger Veolia… Durant la campagne présidentielle de 2012, non seulement Henri Proglio se déclare en faveur de Nicolas Sarkozy, mais il s’affiche publiquement comme l’un des principaux opposants à François Hollande, menaçant les Français de plusieurs centaines de milliers de suppressions d’emplois si les projets environnementaux du PS étaient mis en œuvre.

Une prise de position qui oblige deux des principaux lieutenants de campagne de François Hollande, Manuel Valls et Michel Sapin, à désigner Henri Proglio comme l’un des rares responsables nommés par l’État à devoir être sanctionné en cas de victoire socialiste à la présidentielle. Son départ doit même constituer l’un des actes fondateurs du futur nouveau pouvoir. Lui le symbole des années Sarkozy n’a pas sa place dans la République exemplaire promise par le nouveau président.

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Pascale Tournier, journaliste politique indépendante (L’Express, Le Parisien Magazine), a publié Dans les cuisines de la République, enquête sur les tables du pouvoir (2010) et La Reine mère (2011), une biographie de Bernadette Chirac.

Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, L’Expansion et Le Nouvel Économiste. Il a publié Arnaud Lagardère : l’insolent (2006), EADS : la guerre des gangs (2008) et Areva mon amour. Enquête sur un pouvoir qui les rend fous (2012).

[1] Nous avons demandé, à plusieurs reprises, au service de presse d’EDF à rencontrer Henri Proglio. Deux mails ont ainsi été adressés à sa directrice de la communication : le premier le 5 septembre 2012, le second le 6 février 2013. Au moment de rédiger ces lignes en avril 2013, nous n’avons reçu aucune réponse. En revanche, maître Jean-Pierre Mignard, l’avocat d’Henri Proglio, est entré en contact, par lettre, avec notre éditeur, les Éditions du Moment, pour demander des explications sur ce livre. Une démarche surprenante pour un avocat qui est un défenseur reconnu de la liberté d’expression.

[2] Bernard Squarcini a été démissionné par le gouvernement le 31 mai 2012 et remplacé par Patrick Calvar, un ancien de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) devenu entre-temps directeur du renseignement de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).

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