La taxe sur les Smartphones, l’une des mesures-phares du rapport Lescure sur l’avenir de la création culturelle en France, remis lundi au Premier ministre, est vivement contestée par l’industrie musicale. En cause, le fonds de soutien à la filière censé gérer les revenus de cette taxe et in fine le basculement vers une « gestion collective » des revenus de la production créative… et à terme, la fin de la rémunération par la vente de copies privées.
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Copie privée vs gestion collective
Si le débat paraît technique de prime abord, il touche en réalité au coeur du modèle économique de l’industrie musicale. Les professionnels du secteur redoutent de voir une fois pour toute le mode de financement de leur activité remis en cause (la copie privée, par la vente de disques, CD et aujourd’hui de fichiers numériques demeure le principal générateur de revenus de l’industrie musicale). Surtout, ils estiment que les propositions de la mission Lescure sont anachroniques.
Selon le patron de Universal Music Pascal Nègre, la « gestion collective » des revenus de la musique s’apparente à un « kolkhoze model bizz 2.0″… Autant dire que la comparaison aux fermes soviétiques n’est pas un compliment ! Les syndicats du secteur sont à peine plus tendres et le SNEP (principal syndicat du métier) assure que le fonds de soutien promis par l’ancien PDG de Canal+ « hypothèque l’avenir de la production musicale » en France.
Si la profession a encore du mal à définir les paradigmes de sa survie dans l’environnement digital qui a remis en cause leurs modèles économiques en profondeur depuis une dizaine d’années avec notamment la généralisation du piratage (téléchargement et streaming illégal), l’industrie musicale ne veut pas voir son économie dépendre des décisions d’une organisation publique chargée de répartir les revenus de la taxe entre producteurs et artistes.
Ils restent au contraire farouchement attachés à la copie privée, achetée par l’utilisateur dans un format physique ou numérique et qui permet un financement de chacun en fonction de son succès… Les producteurs de musique voient dans la proposition de Pierre Lescure un retour au collectivisme qu’ils jugent incompatible avec les réalités de la compétition culturelle mondiale.
Rapport Lescure : tout n’est pas à jeter
Il ne faut pas pourtant jeter le bébé avec l’eau du bain. Si la question de la gestion collective a provoqué une levée de boucliers de la part des producteurs de musique, le rapport Lescure n’a pas été reçu que négativement par les autres professionnels des différents secteurs concernés (livre numérique, cinéma, jeux vidéos,…). Un élément a surtout donné de l’espoir à bon nombre de producteurs de contenus : la prise en compte pour la première fois de la responsabilité des « géants du Web » dans la dégradation du cadre économique de la culture à l’ère du numérique.
Si la taxe Smartphone (qui doit en réalité toucher tous les appareils « connectés », des smartphones aux tablettes en passant par les liseuses électroniques et les lecteurs MP3) pose un problème philosophico-économique à certains, elle ouvre des perspectives à d’autres : les mastodontes du secteurs, qui de Google à Apple en passant par Facebook ou Amazon ont construit de véritables trusts numériques, vont devoir mettre la main à la poche pour les contenus qu’ils utilisent massivement.
Jusqu’à présent, usant (et abusant) de leur position de force, ces groupes n’ont jamais rémunéré à leur juste valeur les contenus qu’ils utilisaient… Leur puissance de feu en ligne les rendant incontournables, ils disposent à volonté et à prix cassés de contenus culturels qu’ils ne produisent pas mais qui contribuent à leur succès. Et comme ces géants du Web se retrouvent aussi être les principaux constructeurs d’appareils numériques, la mission Lescure propose une pirouette pour les faire passer à la caisse et contourner leur position dominante.
Avec cette taxe de 1% sur les ventes d’appareils numériques, l’objectif est donc bel et bien de faire contribuer les géants du Web au financement de la création… mais déjà certains assurent que ce ne sera ni Google ni Apple qui paiera l’addition finale mais les consommateurs.