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La loi sur le mariage homosexuel pourrait-elle un jour être abrogée?

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Le président de l’UMP, Jean-François Copé, promet de « réécrire » la loi sur le mariage homosexuel promulguée samedi par le président Hollande, en cas d’alternance politique : « Quand nous serons revenus au pouvoir, il faudra réécrire ce texte pour protéger la filiation et les droits de l’enfant. Peut-être avec le recours au référendum », a-t-il affirmé dans une interview accordée au journal Le Monde. « J’invite les centaines de milliers de Français qui ont manifesté contre ce texte et les millions de Français qui s’y sont opposés dans leur cœur à transformer cet engagement sociétal en un engagement politique ».

Si la question divise à l’UMP – dimanche, sur BFMTV, Nathalie Kosciusko-Morizet assurait que la droite « ne pourra pas » abroger cette loi car « on ne pourra pas démarier ou désadopter » – Marine  Le Pen, a indiqué qu’elle abolirait la loi autorisant le mariage homosexuel si elle était élue présidente de la République mais qu’elle n’appellera pas en revanche à « la désobéissance civile » des maires car elle est « respectueuse des lois ». Que pourrait-il donc se passer si le Parlement changeait de majorité en 2017 ? Eléments de réponse avec Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Entretien.

JOL Press : Que pourrait faire l’opposition si elle souhaitait revenir sur les dispositions prévues par la loi sur le Mariage pour tous ?
 

Didier Maus : Il y a un principe élémentaire : ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire. Heureusement, le législateur n’est jamais tenu par ses précédents. Sinon les alternances politiques n’auraient plus grande signification. La seule réserve est qu’en matière de droits fondamentaux le retour en arrière n’est pas possible. Le Parlement peut renforcer les libertés, il ne peut pas les restreindre. Comme le Conseil constitutionnel a pris soin de souligner que les règles relatives au mariage ne concernant pas « les droits et libertés fondamentaux », il n’existe aucun obstacle constitutionnel à une modification de la loi, voire à son abrogation totale ou partielle.

Indépendamment de l’aspect constitutionnel, il convient de tenir compte des paramètres politiques et de l’opportunité de revenir sur une réforme antérieure. C’est un autre débat.

JOL Press : Un texte de loi peut-il être réécrit ?
 

Didier Maus : L’essentiel du travail législatif consiste non pas à créer des lois entièrement nouvelles, mais à modifier les lois antérieures. C’est particulièrement vrai dans le domaine fiscal ou en matière sociale ou pour la décentralisation. C’est, d’ailleurs, ce qui rend très difficile la lecture des projets de loi ou des lois votées par le Parlement. La « réécriture » n’a pas une signification juridique particulière.

JOL Press : Comment est votée une abrogation ? 
 

Didier Maus : Comme toutes les autres lois. Il y a, en général, un projet du gouvernement, parfois une proposition de députés ou sénateurs. Ensuite il y a le débat à l’Assemblée nationale et au Sénat, puis l’adoption finale soit par accord entre les deux assemblées, soit par vote en dernière lecture de la seule Assemblée nationale. La loi ainsi votée peut, bien évidemment, être déférée au Conseil constitutionnel.

JOL Press : Qu’adviendrait-il des mariés homosexuels et des éventuels enfants adoptés, si la loi était abrogée ? 
 

Didier Maus : Une loi abrogeant le mariage entre personnes du même sexe et modifiant les conditions de l’adoption ne peut pas revenir sur les situations légalement acquises grâce à la loi du 17 mai 2013. Les mariés demeureront mariés. Les adoptés demeureront adoptés. Il faudra que la loi d’abrogation (ou de modification) prévoit des mesures transitoires ou provisoires pour tenir compte des situations légalement obtenues.

JOL Press : Y a-t-il des exemples récents de grandes réformes annulées ?
 

Didier Maus : Dans le domaine économique, il y a eu des nationalisations en 1981, puis des privatisations en 1986. En 2012, la nouvelle majorité a abrogé certaines mesures fiscales adoptées sous le président Nicolas Sarkozy. Dans le domaine des réformes dites « de société » aucune des réformes (IVG, PCS) n’a été remise en cause.

JOL Press : Après l’arrêt du Conseil constitutionnel, quels autres recours sont envisageables ? La Cour de justice de l’Union européenne ? 
 

Didier Maus : La Cour de justice de l’Union européenne n’a aucune compétence car il s’agit d’une matière, l’état des personnes, où il n’existe aucune compétence de l’Union. Seule la Cour européenne des droits de l’homme pourrait, un jour, être saisie. Encore faudrait-il trouver un motif et une procédure. En l’état, la loi n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Il est impossible d’anticiper une éventuelle modification et les conséquences qui en découleraient.

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Didier Maus est professeur à Aix-Marseille université et président émérite de l’Association française de droit constitutionnel. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel.

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