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Le CICR fête ses 150 ans

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Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fête cette année ces 150 ans d’existence. Voici l’occasion de faire le point sur cette organisation pas comme les autres.

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Le CICR est une organisation humanitaire internationale, basée à Genève. Elle a été fondée par Henry Dunant en 1863. Ce dernier, un homme d’affaires venu rencontrer Napoléon III, avait assisté, un peu par hasard, à la bataille de Solferino en 1859. Au cours de cette bataille ayant vu s’affronter les troupes italiennes et françaises aux troupes autrichiennes, Henry Dunant avait assisté, impuissant, à la mort de nombreux combattants blessés, faute de soins prodigués sur place. Cette tragédie – la bataille de Solférino fit près de 28.000 morts au total -l’avait décidé à agir afin que soit créé un service médical de secours aux blessés respecté par chacun des belligérants. C’est ainsi qu’après un long travail de conviction auprès des Etats, le CICR est né en 1863 et a été reconnu par la première convention de Genève de 1864. Pour son action, Henry Dunant a reçu le prix Nobel de la paix en 1901.

Une organisation humanitaire privée de droit suisse

Le statut juridique du CICR est sui generis – à l’instar de l’Ordre de Malte – : il s’agit d’une organisation humanitaire privée de droit suisse, mais dont le mandat est établi et reconnu par le droit international public. Ce mandat est aujourd’hui spécifiquement prévu par les quatre Conventions de Genève de 1949, qui protègent les blessés de guerre, les naufragés de mer, les prisonniers de guerre et la population civile. Elles ont été ratifiées par l’ensemble des États de la communauté internationale et complétées par les deux protocoles additionnels de 1977. Elles donnent au CICR le droit d’intervenir en temps de conflit armé international (conflit entre deux ou plusieurs Etats) comme organe neutre et impartial pour la mise en œuvre et le respect par les belligérants du contenu des Conventions et le droit de proposer ses services en cas de conflit armé interne (entre un Etat et un mouvement armé).

Concrètement, le CICR apporte protection et assistance à toutes les victimes de conflits armés et autres situations de violence, sans aucune distinction d’appartenance politique, ethnique, religieuse ou sociale. Il couvre un spectre très large d’activités : santé et soins, protection de la population civile, recherche des personnes disparues, rétablissement des liens familiaux, eau et habitat, visites de lieux de détention, distribution de nourriture, assistance économique et sociale, diffusion du droit international humanitaire, communication, logistique, coopération avec les sociétés nationales de secours etc. De par son mandat et les moyens dont il dispose, le CICR est en mesure de couvrir – parfois en toute autonomie – une large gamme d’activités humanitaires susceptibles d’avoir un impact positif sur la population civile affectée par un conflit armé.

Une présence globale, une indépendance d’action

Son budget annuel d’un milliard d’euros, financé essentiellement par les États (notamment les États-Unis et les États-membres de l’Union européenne), lui assure une réelle indépendance d’action et lui permet d’être présent sur tous les continents. Actif dans plus de soixante pays dans le monde, le CICR emploie environ 1.600 expatriés et 12.000 employés locaux. Il réalise ses plus grosses « opérations » humanitaires dans des États comme l’Irak, la Syrie, le Soudan et le Sud-Soudan, la Somalie, le Mali, la République démocratique du Congo, l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Palestine, les Philippines ou encore la Colombie. L’Afrique représente plus de 40 % des engagements opérationnels du CICR dans le monde.

Sur le terrain, la figure incarnant l’action du CICR est souvent celle du délégué, qui est un expatrié. Ce n’est qu’en 1993 que le CICR a décidé d’ouvrir ses portes à des candidats n’ayant pas la nationalité suisse pour occuper les fonctions de délégué. Jusqu’à cette date, il fallait impérativement être suisse pour devenir délégué, la nationalité de ce dernier étant considérée comme le garant de sa neutralité et donc de celle de l’institution. Depuis 1993, avec la fin de la guerre froide, les choses ont bien changé : si le comité directeur du CICR est toujours exclusivement composé d’une vingtaine de citoyens de la Confédération Helvétique triés sur le volet et cooptés, les Suisses ne constituent plus qu’une minorité des délégués envoyés sur le terrain.

Ses délégués, avec l’aide des employés locaux, y visitent les camps de prisonniers de guerre et les prisons, assurent le fonctionnement d’une Agence centrale de recherche des personnes disparues ou séparées de leurs proches par la guerre, organisent des actions de secours aux blessés et aux malades, distribuent de l’assistance (tentes, couvertures, vivres etc.) aux civils et aux déplacés etc. Pour pouvoir agir dans des pays où la situation politique et militaire est souvent délicate, le CICR se doit de préserver en toutes circonstances sa neutralité et son impartialité, qui constituent deux de ses principes fondateurs. C’est la raison pour laquelle « l’institution » veille, dans la mesure du possible, à ce que ces délégués soient « vierges » de tout lien avec le pays dans lequel ils travaillent.

La sécurité, un souci constant

Il n’en demeure pas moins qu’il est parfois très difficile pour les délégués de travailler auprès des populations civiles. Il est loin le temps où Henry Dunant, le futur fondateur du CICR, pouvait assister sans risque pour sa sécurité aux terribles combats de la bataille de Solferino de 1859. Depuis la second guerre mondiale, les guerres ont fait plus de victimes civiles que de pertes militaires. Les travailleurs humanitaires ne sont pas non plus épargnés. Des délégués ou des employés locaux du CICR ont été tués au cours des dernières années en République démocratique du Congo, au Burundi, en Somalie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Tchétchénie ou au Sri Lanka. La sécurité est donc devenue un souci constant des organisations humanitaires.

C’est l’intelligence du CICR que de toujours faire travailler les délégués de terrain en couple avec un field officer, expression que l’on pourrait traduire littéralement par « officier de terrain ». Le délégué est un expatrié, envoyé en mission pour une ou deux années. Il n’est jamais issu du pays dans lequel il travaille. Il apporte donc sa neutralité et son impartialité dans son approche de la situation du pays. Il apporte aussi son recul tant par rapport aux moments de grande tension que vivent les populations des États en guerre que par rapport aux gens qu’ils rencontrent. Avec son regard neuf (et parfois aussi un peu naïf), il instille enfin son dynamisme sur les programmes du CICR et sa stratégie.

Inversement, le field officer apporte sa connaissance du terrain, des gens, des institutions, de la culture locale. Avec le temps, il a noué des contacts dans tous les milieux, au sein desquels il fait connaître le CICR. Il est aussi souvent un interprète indispensable. Employé à durée indéterminée et ayant une connaissance des actions entreprises dans le passé par le CICR, il est le garant de la continuité de l’action humanitaire. Le délégué et le field officer forment ainsi un couple dont la complémentarité se vérifie à tous les instants, même s’il arrive, comme dans toute vie maritale, que des dissensions ou des désaccords surgissent.

« Le Message Croix-Rouge »

Le CICR dispose d’un savoir faire reconnu pour montrer des opérations d’urgence dans le domaine médical (chirurgie de guerre, infirmerie de campagne, ambulances, appareillage orthopédique etc.), sanitaire ou alimentaire. Il est aussi très efficace dans ses actions conduites sur le long terme, dont on parle moins. L’ensemble de ce travail est effectué en lien et avec le support des employés et des volontaires des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (par exemple, le Croissant-Rouge afghan en Afghanistan, la Croix-Rouge ivoirienne en Côte d’Ivoire etc.).

Rétablir et entretenir les liens familiaux des personnes séparées de leurs proches en raison d’un conflit armé, qu’il s’agisse de civils déplacés, de détenus, de blessés, de malades ou de prisonniers de guerre, est une des missions du CICR. Le moyen traditionnel d’échanges de nouvelles entre des personnes séparées par les conséquences des conflits est « le message Croix-Rouge ». Il s’agit d’un formulaire, à peu près identique dans toutes les parties du monde, proposé par un délégué du CICR ou un employé d’une société nationale de secours à la personne désireuse de donner des nouvelles à l’un de ses proches. Le délégué ou l’employé recueille le formulaire complété et le fait suivre à son destinataire en utilisant le réseau Croix-Rouge.

Le message, qui peut être lu et censuré par les autorités (pénitentiaires, militaires, administratives etc.), ne doit contenir que des nouvelles personnelles ou familiales. Ce système de messages Croix-Rouge a fait la preuve de son efficacité dans tous les conflits contemporains : près d’un million en est récolté et distribué dans le monde entier chaque année. Il a ainsi permis au cours des dernières années à un détenu de Guantanamo de donner de ses nouvelles à sa famille vivant dans un village du Soudan ou à un prisonnier de guerre érythréen détenu en Éthiopie de communiquer avec ses parents. Le téléphone et l’internet peuvent parfois compléter cet outil traditionnel.

On oublie parfois que tout un pan de l’activité du CICR consiste à visiter les détenus et à les recenser afin de limiter les risques de disparition et de torture. Il s’agit aussi de signaler aux autorités pénitentiaires des anomalies et de tenter de les convaincre d’améliorer les conditions de détention. La contrepartie de cet accès réside dans la confidentialité des constatations et éventuelles recommandations des délégués. Ces dernières ne sont adressées qu’aux autorités pénitentiaires, sans être rendues publiques. La règle de la confidentialité s’applique dans toutes les prisons que les délégués du CICR visitent dans le monde. Ce n’est que lorsque les délégués ne peuvent plus avoir accès aux détenus et dialoguer avec eux en privé ou lorsque les autorités pénitentiaires font obstacle à un déroulement normal des visites que ces dernières sont suspendues. Cela a été, par exemple, le cas en Birmanie dans les années 2007-2012. Cela est le cas depuis quelques mois en Ouzbékistan.

 

« Documenter »

Par ailleurs, le CICR consacre beaucoup d’énergie à la « documentation » de cas de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. Le droit international humanitaire que les « parties au conflit » sont tenues de respecter est constitué au minimum des quatre Conventions de Genève et du droit international humanitaire coutumier. Il peut être plus étoffé (protocoles additionnels de 1977 et Statut de Rome de 1998) en fonction des ratifications. Le droit international des droits de l’homme, notamment constitué du Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 et de la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 1989, est souvent aussi applicable en zone de conflit armé et le CICR veille à son respect. « Documenter » veut dire, dans le vocabulaire propre au CICR, tout d’abord réunir un ensemble d’informations fiables et de témoignages sur des faits en vue d’en obtenir une vision la plus proche possible de la réalité. Les faits ainsi documentés sont ensuite synthétisés dans une fiche établie par le délégué et entrés dans une base de données pour en assurer le suivi. Ils peuvent enfin être présentés aux autorités militaires ou politiques compétentes, oralement ou par écrit, en vue d’en discuter et de conduire lesdites autorités à prendre les mesures nécessaires pour que les violations constatées ne se reproduisent pas.

Dans les Etats affectés par des situations de conflit armé, le CICR s’efforce de promouvoir et vérifier le respect et la mise en œuvre du droit international humanitaire par les différents porteurs d’armes. Sur la base des éléments d’informations qu’ils récoltent sur le terrain, ses délégués nouent un dialogue confidentiel « constructif et critique » avec toutes les parties concernées. Indépendant, neutre et impartial, le CICR discute avec tous les porteurs d’armes, que ceux-ci appartiennent à des armées gouvernementales ou des groupes armés non étatiques. Chaque année, ce sont des milliers de lettres, rapports, documents que le CICR adresse aux Etats et aux mouvements armés pour leur demander de cesser les violations du droit commises et de punir disciplinairement et/ou pénalement les auteurs desdites violations. Ces demandes sont loin d’être toutes couronnées de succès mais elles ont le mérite de mettre les Etats et les groupes armés face à leurs responsabilités. Il est, au premier chef, de la responsabilité des Etats et des groupes armés de respecter les obligations légales qui pèsent sur eux.

Le CICR travaille de la même manière dans tous les pays où a lieu un conflit armé et où il est présent : il joue la carte de la confiance donnée aux autorités militaires et politiques, étatiques ou non, en leur demandant de corriger des comportements susceptibles de violer les règles du droit international humanitaire et de respecter leurs obligations légales. Et lorsque les autorités en question sont de mauvaise foi, il continue tout de même à coopérer avec elles, dans l’espoir de convaincre certains des individus qui y travaillent d’utiliser leurs prérogatives au service de la protection de la population civile. En général, le CICR ne cesse cette collaboration que lorsqu’il est convaincu que son action n’apporte plus aucun impact humanitaire positif. 

> Consultez le site de la Croix-Rouge

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