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Le quotidien d’un conducteur de RER: la solitude

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Aux commandes du RER A

Cédric Gentil conduit le RER A depuis deux ans, après avoir été conducteur de métro pendant une dizaine d’années. Pour partager son quotidien, il a commencé par twitter au retour du travail, à chaud, assis parmi les usagers. Puis il s’est lancé un blog qui aujourd’hui fait référence en la matière et constitue la meilleure source d’informations pour les usagers des transports en commun.

Depuis son poste de pilotage, il nous explique les retards des trains, les pannes, les mystérieux « incidents techniques » et « voyageurs malades », mais aussi la hantise des suicides sur les voies, les relations avec les passagers, ce qu’il voudrait leur dire lorsqu’il fait des annonces mais qu’il ne peut pas, faute parfois d’informations, la sensation qui l’envahit lorsqu’il conduit un train… sans voyageurs. Et en filigrane, il se raconte lui : ses débuts, ses doutes, les difficultés pour préserver sa vie de famille, ses motivations, son rêve de conduire un train japonais. Au fil des pages, se dévoile un homme d’un altruisme étonnant, dont l’un des plus grands bonheurs est de rendre chaque jour à des milliers de personnes en les conduisant d’un « point A à un point B ».

Extraits de Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plaît de Cédric Gentil  (Editions Plon)

Lorsqu’on me parle de mon travail, le mot qui me vient spontanément est « solitude ». C’est vrai que, la plupart du temps, nous sommes seuls dans notre cabine de conduite. Et, lorsqu’on est seul, on réfléchit, on gamberge, au gré de notre moral. Et, quand il n’estpas bon, c’est difficile de penser à autre chose.

Samedi dernier, le 31décembre, je travaillais « de nuit » (entre 18h30 et 1h30 officiellement). J’ai passé mon temps à prier pour qu’un de mes collègues ne vienne pas pouvoir le remplacer au pied levé car j’étais en réserve, une sorte de joker qu’on utilise en cas d’absence ou de retard d’un conducteur pour conduire en ligne ou manoeuvrer des trains dans les galeries. Malheureusement, tout  le monde était là, et à l’heure ! J’ai donc mangé seul mon petit bento acheté chez Picard, devant la télé, à zapper en espérant tomber sur quelque chose de bien. En vain…

Vers 22 heures, mon chef m’a enfin donné du boulot. Je devais emmener un train sans voyageur de Nanterre à Rueil, patienter puis repartir dans l’autre sens pour « réinjecter » ce train-là à son heure… Tout un programme ! 

Je me suis donc retrouvé à 23h58 à partir de Rueil, seul dans ce train vide.

À minuit, j’ai klaxonné comme un dingue pour partager… ma solitude ?

J’ai traversé les gares sans m’arrêter. Les gens à quai me saluaient quand je passais pour me souhaiter la bonne année.
En arrivant en gare de Nanterre-Préfecture, j’ai vu un homme, seul, allongé sur le quai. Il ne dormait pas. Il buvait. Lui, il devait vraiment la connaître, la solitude. Moi, ma femme et mes enfants m’avaient appelé vers 22h30 pour me souhaiter la bonne année avant d’aller se coucher. Je les retrouverais en rentrant chez moi. Mais lui, qui se souciait de lui ? Qui l’attendait ? Qui lui avait parlé ? Qui lui avait souhaité une bonne année ? 

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Cédric Gentil, 33 ans, conduit des trains depuis une douzaine d’années. Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plaît est son premier livre. Il est également l’auteur du blog éponyme qui connaît un grand succès.

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