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Michel Rocard: «Sans changement de politique, le pire est à craindre»

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Qui peut croire que la crise est finie ? Alors que le chômage et la précarité atteignent des niveaux jamais égalés, François Hollande et l’ensemble du PS misent essentiellement sur le retour de la croissance pour les faire baisser. Or, 2013 va sans doute être marquée par une très nette aggravation de la crise… La gauche au pouvoir est-elle condamnée à décevoir ? Le but de La gauche n’a plus droit à l’erreur, de Michel Rocard et Pierre Larrouturou est de dire la vérité sur les dangers qui nous menacent mais aussi et surtout de proposer des solutions à la hauteur des enjeux. 

Extraits de La gauche n’a plus droit à l’erreur, de Michel Rocard et Pierre Larrouturou (Flammarion)

Qui donc est l’homme pour accepter que tant d’individus vivent dans des conditions si précaires ? Qui donc est l’homme pour se résigner à un tel niveau d’injustice et de violence sociale ?

C’est de notre humanité qu’il s’agit, et pas seulement de PIB et d’économie. Alors que nous avons tous les mêmes besoins fondamentaux, les mêmes peurs et les mêmes désirs, alors que sur le fronton de toutes nos écoles, nous avons gravé notre attachement à la Liberté, à l’Égalité, à la Fraternité, comment accepter que vident côte à côte des hommes de plus en plus riches et des citoyens de plus en plus pauvres ? Dans une société qui – globalement – n’a jamais connu une telle abondance, comment accepter que se côtoient dans les mêmes quartiers des citoyens qui survivent avec 450 euros par mois et d’autres qui gagnent 400 fois plus et ne savent plus quoi faire de leur richesse ?

De telles inégalités sont inaceptables. Choquantes. Chacun de nous le ressent et l’exprime avec ses mots. L’humanité arrive à un tournant de son histoire. Si nous ne sommes pas capables de virer de bord, de changer très profondément notre contrat social, l’humanité risque une sortie de route. […]

Si, tout d’un coup, il y avait eu cinq millions de chômeurs et des millions de précaires ; si, tout d’un coup, nous nous étions retrouvés avec une dette publique de 1800 milliards d’euros et une croissance à 0 ; si nous nous étions retrouvés avec le Front national à 20% et avec l’Europe en panne… Si tout cela était arrivé soudainement, sans doute aurions-nous interrompu les émissions de divertissement. Les politiques auraient arrêté leurs petites phrases et nous aurions vraiment réfléchi aux solutions possibles pour sortir du drame. Mais c’est lentement, subrepticement, que la crise s’est installée.

Peut-être avons-nous été piégés par la lenteur du phénomène. Peut-être avons-nous consacré beaucoup trop d’heures de « cerveau disponible » à nous vider la tête au lieu de réfléchir ensemble aux meilleurs moyens de sortir de la crise… Et c’est ainsi, au bout de presque quarante ans de crises à répétition, que beaucoup commencent à douter qu’on puisse un jour en sortir.

Est-il trop tard pour provoquer un sursaut ? Non.

Sortir de la crise est encore possible. Nous en sommes totalement convaincus. Mais pour cela, il faut comprendre la situation, ne pas se tromper de diagnostique et agir avec audace.

Si nous ne changeons pas radicalement de politique, le pire est à craindre car les prévisions de croissance sur lesquelles s’appuie l’Unedic quand elle annonce 400 000 nouveaux chômeurs – et 800 000 en fin de droits ? – d’ici fin 213 sont sans doute trop optimistes tant s’accumulent des nuages noirs sur l’économie mondiale.

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La gauche n’a plus droit à l’erreur, Flammarion (16 janvier 2013)

Michel Rocard, plusieurs fois ministre, ancien Premier ministre, demeure une figure morale et indépendante de la gauche.

Pierre Larrouturou, ingénieur agronome et économiste, est le président de la Fondation Edgar Morin. Depuis novembre 2012, il est membre du Bureau national du Parti socialiste. En 2008, Marianne le présentait comme « l’un des cinq économistes qui avaient annoncé la crise financière ».

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